Une vraie pédagogie du sens de la laïcité était nécessaire… Le Président s’y engage !
30 décembre 2003A lexposition sur la Bible, à Tours, une femme me lance: » En fait, il faut que les chrétiens se taisent, pour que les musulmans naient pas la parole… » Diable!… À lAssemblée Nationale, le mercredi 3 décembre, dans la salle de réunion du groupe UMP que nous avions prêtée pour la circonstance, plusieurs associations dont « Citoyenneté et Démocratie » commémoraient les 20 ans de la marche des Beurs. Avec son Président Hassan Ben M’Barek, bourré de malice et dintelligence, nous avons un vrai « palmarès » de contacts très directs de terrain : Alain Juppé dans le « 93 », Dominique de Villepin à Argenteuil et moi-même à Gennevilliers le soir de lentrée en guerre des États-Unis contre lIrak…
Dans ce lieu de débats parlementaires aussi rituels qu’éternels, lair était électrique. Latmosphère vive et stimulante. Celle des grands soirs, des meetings authentiques. Dans les premiers rangs, quelques personnes très voilées… Du coup, quelques hommes avaient revêtu leurs kippas symboliques… Seul le Père Delorme, magnifique figure de légalité des droits entre tous les citoyens quelle que soit leur origine, était en tenue totalement civile ! ! !
En arrivant et en retrouvant de nombreux amis avec lesquels nous avions organisé – dans l’ombre – cette rencontre, jai tout de suite compris que la soirée allait être « chaude », tant les impatiences, les frustrations et les injustices étaient fortement ressenties.Et très perceptibles.
Claude Bartolone, lancien ministre PS de la ville, et Patrick Braouezec, pour le PC, nont pas honoré de leur présence la table ronde qui devait clôturer les témoignages des principaux acteurs de la marche, contrairement à ce qu’ils avaient promis. Sans prévenir quiconque… Une attitude désinvolte et méprisante à limage de l’ échec de la politique dintégration de 2 septennats socialistes de François Mitterrand et du quinquennat matignonesque de Lionel Jospin…
Tous les courants de pensée et dexpression des Français de religion musulmane étaient réunis, pour interpeller parfois très « directement » le seul élu de la Nation, du coup, que jétais ce soir-là. Avec dailleurs, à la sortie, un sentiment de fierté davoir rempli mon devoir, et davoir réussi à tenir le choc des passions qui sont béantes et vives.
À de nombreuses reprises, jai compris que la différenciation religieuse nétait au fond quun prétexte pour exprimer et clamer le ras-le-bol de l’injustice sociale. Les portes fermées pour un jeune diplômé apparaissent encore plus brutales lorsque la couleur de la peau ou la consonance du nom permettant facilement d’imaginer quil sagit en fait dune exclusion à caractère raciste, xénophobe… Avancer le fait que le chômage touche également des garçons et des filles, Français depuis des générations et bardés de diplômes ne sert strictement à rien, tant le parcours du combattant est plus rude lorsque lon vient « des quartiers » comme on dit pudiquement…
« Je suis un citoyen musulman, qui… » Ai-je entendu à de très nombreuses reprises avec une volonté forcenée de signifier que lappartenance religieuse était un étendard plus flamboyant que le drapeau national !
Jai, à chaque fois, essayé de répliquer avec pédagogie mais fermeté que la religion ne serait jamais une origine nationale en France et que c’était le sens même de notre volonté de remettre à lhonneur les principes de laïcité.
Dans ces échanges parfois polémiques et délicats, est survenu un incident qui a détendu latmosphère. Un jeune dans lassistance a posé à un brillant intellectuel français, de religion juive, partageant sa vie entre Jérusalem et Paris coiffé de sa kippa, une question en lappelant : « Monsieur le Rabbin ». L’intéressé a réagi avec humour en enlevant aussitôt sa kippa et en expliquant quil nétait qu’ universitaire ! Les caméras de France 2 étaient malheureusement parties…
Cette scène illustre au fond assez bien que les signes religieux sont faits pour les enceintes religieuses… Sinon s’instaure une certaine confusion entre le laïc et le religieux ! ! ! Sic…
En tout état de cause, parler religion en cette journée de commémoration de lirruption dans lactualité politique et sociale il y a 20 ans des jeunes Français issus de limmigration, cest pour eux ostensiblement refuser de considérer avec attention la réalité de leur vie quotidienne. Évoquer l’Islam, stipuler l’égalité nécessaire entre lhomme et la femme sont considérés comme une sorte dabus choquant où lon cherche délibérément à nier l’injustice et linégalité en mettant artificiellement en avant les clivages confessionnels.
Ce ressentiment est particulièrement exacerbé chez les fondamentalistes musulmans qui cherchent eux-mêmes à utiliser la misère et la détresse humaine pour embrigader dans leurs rangs les plus faibles et les plus démunis.
« L’heure est à la réparation des injustices subies, des exclusions pérennisées, des discriminations juridiquement proscrites mais pratiquement tolérées ». Ce cri du cœur, avec de multiples exemples à la clé, a retenti avec éclat tout au long de nos discussions. LAssemblée, dans le calme dune soirée où les députés avaient déjà regagné leur circonscription, grondait dans son sous-sol dune revendication quil faut considérer et traiter avec intelligence et activisme. Comme la entrepris avec talent et générosité Jean-Louis Borloo, résolu à « réduire » la fracture territoriale que lui a laissée la gauche soi-disant solidaire et généreuse.
Malgré limpérieuse nécessité de rétablir concrètement une vraie égalité entre tous les Français, quelle que soient leur origine, leur couleur de peau, leur religion, et dagir méthodiquement pour y parvenir, il reste urgent de donner un coup darrêt à toutes les dérives racistes, xénophobes, antisémites, islamophobes, qui souillent quotidiennement lactualité française. De stopper lutilisation de la religion comme une arme politique de guerre intérieure.
Cest à notre honneur, même s’il est déjà tard pour le faire, de rappeler à lordre des valeurs républicaines ceux qui sont tentés de sen soustraire. A charge pour cette République de donner sa chance à chacun
Il est des lieux, des dates, des circonstances où cest un exercice redoutablement difficile. Mais la désertion reste la pire des lâchetés !
Tours. Samedi 6 décembre. Sous le péristyle de lHôtel de ville, où était inaugurée une exposition sur la Bible, censée aux yeux du maire très prudent « équilibrer » celle consacrée à lhistoire de la Franc-Maçonnerie il y a un an !
Une femme d’une cinquantaine dannées s’approche de moi pour parler laïcité, loi, voile, signes religieux ostentatoires etc. Elle me lance, avec la force d’un missile ultra-sophistiqué : « EN FAIT, IL FAUT QUE LES CHRETIENS SE TAISENT POUR QUE LES MUSULMANS N’AIENT PAS LA PAROLE ». Elle résumait par cette phrase lapidaire ce qu’en profondeur de nombreux chrétiens ressentent sans toujours oser l’exprimer avec cette sincérité blessée et avouée. Autant dire que, dans leurs rangs, il était inenvisageable de supprimer le lundi de Pentecôte – jour férié sans motif religieux mais utilisé concrètement à certaines cérémonies – et doctroyer deux jours de congé pour la fête de Kippour et de l’Aïd-el-Kebir. Cette interpellation, en forme de tir de semonce, annonciatrice vraisemblablement d’un ras-le-bol profond voire dune véritable explosion, est laboutissement de toute une série de « dénis de justice » vécus comme tels par de très nombreux chrétiens.
Si personne ne conteste le devoir dintégration au sein de la communauté nationale des « nouveaux français », beaucoup refusent que soit pour autant gommée, niée la part chrétienne de notre patrimoine, de notre culture, de notre identité. Il en est de même pour lEurope, dont lhéritage chrétien a fait lobjet de vifs débats, notamment lorsquil fut question de la rédaction du préambule de la Constitution.
Chacun sent bien, dans cet ordre didées, que la perspective de ladhésion de la Turquie à lUnion européenne crée un front du refus, fondé sur le non-dit du périmètre chrétien de lEurope.
Le retour sous les feux de la rampe du thème de la laïcité est détourné par certains de son objectif profond, de sa mission « civilisatrice ».
Lorigine étymologique du mot laïcité est en elle-même une ambition : le terme grec, Laos, désigne lunité dune population, considérée comme un tout indivisible. L’unité du Laos est donc simultanément un principe de liberté et un principe dégalité.
Ce nest malheureusement pas lanalyse communément répandue.
Les musulmans se sentent désignés comme cibles, comme boucs-émissaires des tensions sociales et culturelles; les chrétiens craignent un retour au négationnisme religieux, rappelant à leurs yeux les pires heures du laïcisme agressif du début du siècle dernier.
La Conférence des Evêques de France considère comme injuste lesprit de symétrie, où, pour ne pas viser exclusivement l’Islam, sont mises sur une sorte de pied dégalité toutes les religions monothéistes.
Le contexte international, marqué par le terrorisme, lintégrisme et le fanatisme, renforce cette exacerbation des passions et lesprit de défensive de chaque communauté.
Le rappel des règles de la laïcité est donc vécu par certains croyants comme une guerre faite à la religion, comme une idéologie partisane qui prône la religion de l’irréligion.
La garantie absolue de la liberté de conscience, du droit fondamental à pouvoir librement croire ou ne pas croire doivent figurer au fronton de nos devises républicaines avec clarté et force. Pour éviter de rouvrir des plaies qui étaient solidement cicatrisées. Il faut dailleurs, aller plus loin, et veiller à lécole à ce que soient réellement enseignés lhistoire et le contenu de toutes les religions. La connaissance de lautre, du différent, de lailleurs génère tolérance, respect, unité, compréhension mutuelle. On y contribue…
Nayons pas peur dans cette période tumultueuse et agitée de faire face à notre responsabilité politique. Laffirmation des principes fondamentaux de la personne humaine, des droits de lhomme et du citoyen, la supériorité de la loi de la République sur la pratique coutumière ou sur des préceptes religieux sont les socles de notre civilisation et de notre culture, les piliers de notre sagesse, le principe même de l’Etat de droit. Même sil faut naturellement reconnaître que la morale laïque nest pas sans lien avec certaines maximes religieuses. Une sorte de mariage mixte !
La question « sacrilège » , sil en est, est celle de la pratique naturellement légitime de la religion musulmane dans une terre, un pays, un Etat marqués par la tradition chrétienne et imprégnés de la culture juive.
Quelle géographie de la religion ? Quelle fécondation entre le spirituel et le temporel ? Quelle interaction entre la norme légale et la maxime religieuse ?
Ces questions rituelles et banales prennent évidemment une dimension, particulièrement sagissant de l’Islam, parce quil est en France une religion nouvelle. Et surtout parce que de nombreuses dérives intégristes font irruption, déniant le rôle de l’Etat. Pour Tarik Ramadan ou ses proches, « l’Islam touche autant lespace public que la sphère privée, il est religion et État, foi et loi, doctrine et mode de vie ». Lorganisation de la conférence islamique rappelait dailleurs récemment dans un colloque à lUnesco que « lIslam constitue davantage quune religion au sens occidental du terme… Il lie de manière insécable le profane et le sacré, le spirituel et le temporel ».
Le rapport Stasi met en lumière cette nouvelle diversité religieuse française : « notre pays a connu en un siècle une mutation radicale. Il est devenu pluriel sur le plan spirituel. Autrefois appelée » Fille aînée de lEglise « , forte dune tradition protestante diversifiée, la France rassemble la première communauté juive dEurope occidentale. Au cours des dernières décennies, de nouvelles religions se sont développées. LIslam, issu principalement de populations originaires du Maghreb, dAfrique et du Moyen-Orient, est représenté par la communauté la plus importante de lUnion européenne. » « La France d’ aujourdhui est parmi les pays européens les plus diversifiés. Cette rupture majeure dans son histoire lui donne ainsi la chance de senrichir du libre dialogue entre ces différentes composantes « .
De ce fait » la laïcité d’aujourdhui est mise au défi de forger lunité tout en respectant la diversité de la société « .
La question du port du voile et de son interdiction à l’école, mal vécue par nombre de Français de religion musulmane tout à fait sincères, prend dans ce contexte un sens particulier. Elle n’est pas, en fait, religieuse mais politique. Cest en cela quelle peut-être un trouble à lordre public.
Lorsquil ne sagit pas dune démarche libre et uniquement spirituelle, dun simple signe religieux inoffensif en lui-même mais de la première escarmouche, délibérément provoquée et conduite par les tenants dun islam radical, dans la lutte sans merci quils entendent mener contre les valeurs de la démocratie et de la modernité, le problème change de nature.
Les états dâme que lon peut avoir sur latteinte portée aux droits de lindividu par linterdiction du port du voile sestompent. Cest une question de « légitime défense », de protection du socle de valeurs républicaines et humanistes qui fondent la fraternité française. Les mouvements féministes turcs et tunisiens ne sy trompent dailleurs pas lorsquils défendent le maintien des lois prescrivant ou limitant le port du hidjab à lécole ou dans la fonction publique.
Pour être équitable, et ne pas dénoncer exclusivement lintégrisme musulman, rappelons que chaque religion connaît ses extrémismes, ses commandos, ses fanatiques. Qui doivent être tous combattus vigoureusement.
Caroline Fourest et Fiammetta Venner, dans « Tirs Croisés », un livre remarquable sur « la laïcité à lépreuve des intégrismes juif, chrétien et musulman », rappellent en avant-propos la définition que Voltaire faisait des fanatiques dans son Dictionnaire philosophique : « des gens persuadés que lEsprit Saint qui les pénètrent est au-dessus des lois »
Pour ne pas être hypocrite, il faut souligner de surcroît – et cela renforce malheureusement la susceptibilité et la nervosité générales – que lactualité internationale, quon le veuille ou non, que ce soit injuste ou non, pèse sur le débat interne. La dimension religieuse de certains actes terroristes crée un amalgame forcément fâcheux faisant craindre dans une religion totalement pacifique des dérives monstrueuses, qui ne sont le fait que dune poignée criminelle de véritables fous. Sans aucun lien avec l’écrasante majorité des Français issus du sud de la Méditerranée, qui naspirent quà réussir dans une grande démocratie de la rive Nord, devenue leur patrie ! Et qui vivent comme une vraie blessure linformation malheureusement tragique concernant les attentats « au nom de Dieu ».
Cest dire que ce contexte ne rendait pas aisé lexercice de synthèse républicain quil appartenait au Président de la République de faire comme il sy était engagé le 14 juillet.
Traiter les questions « chaudes » sans farder la réalité ni attiser les peurs et jouer avec le feu, rétablir légalité nécessaire entre tous les citoyens sans créer de nouvelles discriminations réputées positives, permettra à chacun de pratiquer sa religion tout en respectant nos lois et nos valeurs, célébrer nos traditions en faisant preuve douverture d’esprit et prenant en compte les diversités nouvelles, tels étaient quelques-uns des défis quil fallait relever !
Sans compter l’analyse faite à létranger du concept de laïcité, qui apparaît parfois incongru et même « blasphématoire »… Certains tenants de lIslam arguent leur hostilité à la laïcité du fait quelle est fondée sur des lois et donc des principes auxquels ils nont pas été associés en tant que religion.
De plus, en Arabe le mot laïcité se traduit par lâdînî. Lexpression séculier nexistant pas, celle qui été choisie initialement pour en exprimer le contenu comportait une négation ambiguë. Littéralement, lâdînî veut dire : non religieux ou antireligieux.
Cest la raison pour laquelle la décision du Président de la République a déchaîné de vives réactions chez certains grands chefs religieux dans le monde arabe :
. Le mufti de Syrie, cheikh Ahmad Kaftara, affirme que “ la nation musulmane voit dans le voile un des fondements de sa religion ».
. Le mufti sunnite du Liban, cheikh Mohammad Rachid Qabbani, évoque notre « haine pour l’Islam »
. Le mufti d’Egypte, cheikh Ali Gomaa, estime que « le voile est un devoir religieux et pas un simple signe ».
Le frère du fondateur des Frères musulmans rejette, lui, totalement cette argumentation : « le voile nest pas une obligation. Ni le Coran. Ni le Hadith ( les dires du prophète Mohamet) nimposent pas à la femme de porter le voile. Le port ou non du voile sinscrit dans le cadre du débat sur les mœurs et non sur les obligations religieuses » déclare Gomal al-Bonna.
Pour l’archevêque de Canterbury , chef spirituel de lEglise anglicane, Rowan Williams, la décision française est « provocatrice et destructrice ». « Ce nest pas tout à fait surprenant dans un environnement séculaire qui ne considère la religion pas seulement avec suspicion ou incompréhension mais avec peur ».
« Historiquement cela sexplique, hélas, que la foi religieuse a trop souvent été le langage des puissants, lexcuse à loppression, l’oublie à latrocité. Or, cela renaît avec la menace de la terreur semée au nom de la religion alors que les représentants de cette religion ont, à tout niveau, sévèrement condamné une telle attitude incompatible avec la foi ».
« La foi n’est ni une perversion humaine, ni une excentricité marginale et privée ».
Dans ce concert de passions et dincompréhensions en France et à létranger, trancher nétait pas facile.
Certains pensent que point n’était besoin douvrir une telle confrontation. Quil y avait trop de risques à le faire. Ils ont tort car la situation sur le terrain, à lécole, dans certains quartiers de nos villes, exige une clarification, une sortie par le haut pour que chacun ait vraiment droit de cité. Avec à la clé le rappel du « contrat social », où les droits se « disputent » avec les devoirs.
Le Président de la République a prononcé un puissant discours, empreint dhumanisme et de force. Le 17 décembre est une date importante.
Peut-on espérer que cela crée un vrai élan, une fraternité réellement refondée ?
Certaines réactions dans lopposition politique ou syndicale ont été dune consternante médiocrité. Dénonçant déjà le manque de moyens pour la politique de la ville et celle de léducation. Caricaturant à loisir le parfait point déquilibre proposé. Amnésiques de leurs propres impuissances.
Je lai vécu en direct sur Europe 1 où je réagissais avec mon « homologue » du PS, Julien Dray, qui narrivait pas à faire un geste. Simple. Beau. Urgent : Dire oui à la République, à la laïcité du 21e siècle, à la liberté religieuse, au respect absolu des droits de lhomme et du citoyen, à légalité entre hommes et femmes, avec sur de tels sujets le souci prioritaire du rassemblement non partisan et de l’unité nationale. En se donnant concrètement la possibilité d’y parvenir. Enfin !
Je suis fier que le Président ait eu le courage et la lucidité de nous engager sur le chemin dune telle réforme. À charge pour nous den faire partager les enjeux.
À bon entendeur, salut, pour les déserteurs et les grincheux de tout poil !