Imprimer cet article - Envoyer à un ami

15e Rencontres cinématographiques de Beaune

Cher Dan Glickman,

Mesdames, Messieurs,

Chers amis,

Je suis très heureux de vous retrouver à Beaune, pour la deuxième fois en
ce qui me concerne.

Nous sommes, cette année encore, c’est décidément une caractéristique à
Beaune, au lendemain d’un moment capital dans l’histoire politique de la
culture sur la scène internationale. Comme vous le savez en effet, l’UNESCO
vient d’adopter lors de la Conférence générale réunie en plénière, ce 20
octobre, le projet de convention sur la promotion de la diversité des contenus
et expressions culturelles, à une écrasante majorité.

Pour la France, ainsi que pour tous ceux qui se sont battus pour ce texte, la
convention s’appuie sur un constat sans appel et repose sur une conviction
politique forte.

Le constat est simple mais éloquent. Dans le domaine culturel en général, et
dans celui du cinéma en particulier, l’uniformisation des oeuvres et la
concentration de l’offre ne font que progresser. D’après des chiffres de
l’UNESCO datant de 2000, les 8 plus grands studios d’Hollywood se
partagent 85% du marché mondial dont 71% du seul marché européen.

De
même, 4 groupes se partagent le marché mondial du disque. Le marché ne
produit donc pas spontanément, loin de là, la « diversité culturelle ».

La conviction politique, c’est que le combat pour la diversité culturelle est
mené au nom de valeurs universelles et humanistes. Pour lutter contre la
standardisation culturelle, il faut défendre sans fléchir la liberté de création et
d’expression. Il faut se battre pour donner aux artistes la possibilité de
fabriquer leurs oeuvres écrites et leurs images, et permettre aux peuples de
les lire et de les voir. Notre bataille n’a rien à voir avec le protectionnisme
dont nous sommes parfois taxés. Je considère pour ma part que le repli des
identités sur elles-même ne mène au contraire qu’à la violence et à la
négation des droits de l’homme. Je veux dire aussi que si le combat contre
l’uniformisation doit être mené, je veux mener le combat plus positif de la
promotion de la diversité culturelle.

Le texte que l’UNESCO a adopté répond à ces attentes, et je le considère
comme très satisfaisant au regard des objectifs ambitieux de négociation que
la France avait fixés dès le début, et que le Président de la République avait
formulés à Johannesburg en septembre 2002.

Ce texte, je veux le souligner, constitue une véritable innovation : c’est la
première fois que la culture est intégrée en tant que telle dans le droit
international. De manière fondamentale, trois principes sont affirmés :

– la reconnaissance de la nature spécifique des biens et activités
culturels ;

– l’affirmation du droit souverain des Etats à conserver, adopter et mettre
en oeuvre les politiques culturelles qu’ils jugent appropriées à la
promotion de la diversité culturelle ;

– le renforcement de la coopération internationale, notamment en
direction des pays en développement.

La convention apporte, et ce n’est pas son moindre apport, une réponse à la
question complexe de la relation entre culture et commerce. L’article 20, qui a
donné lieu à de longues discussions, offre à nos yeux un compromis
équilibré. La Convention rappelle que les Etats signataires devront respecter
leurs obligations à l’égard des autres traités qu’ils ont ratifiés, mais qu’ils
doivent dans le même temps respecter les principes de cette convention dans
les autres engagements internationaux qu’ils seraient amenés à prendre.

Cela confère une force particulière à la convention. C’est un gage de
cohérence important.

Le fait d’ailleurs qu’aucun lien de subordination n’ait été instauré entre ce
texte et les autres accords internationaux est déterminant. Il signifie en
pratique que la convention de l’UNESCO est placée sur un pied d’égalité
avec d’autres accords internationaux, et en particulier ceux de l’OMC qui
nous concernent particulièrement ici. Formulé autrement, ceci revient à
affirmer que les règles commerciales n’ont pas – ou, plus précisément,
n’auront plus à l’avenir – vocation à constituer, à elles seules, le cadre de
régulation des politiques publiques. Au contraire, d’autres principes – ceux de
la présente convention – doivent également être pris en compte, entre autres
par l’organe de règlement de différends de l’OMC s’il est saisi d’un arbitrage
qui concerne le champ culturel.

Contrairement à ce qui se dit ici ou là, cet article 20 ne cherche en rien à
remettre en cause les prérogatives de l’OMC. La France, comme d’autres, est
en effet très attachée au rôle joué par l’OMC dans la régulation de la
mondialisation. Il ne s’agissait donc pas de sortir la culture et l’audiovisuel du
champ de l’OMC. Ces services sont et restent en effet couverts par l’accord
général sur le commerce des services (AGCS) de l’OMC. Cela n’implique pas
l’abandon de toute régulation. Nous revendiquons une mondialisation
maîtrisée, soucieuse du respect des valeurs humaines et en particulier des
identités culturelles dans leur diversité. Je crois que ce nouveau texte y
concourt.

Je tiens d’ailleurs à souligner au passage que, comme Pascal LAMY s’y était
engagé lorsque je l’ai rencontré début septembre à Genève, l’OMC n’a jamais
cherché à intervenir d’une façon ou d’une autre dans le cadre du processus
de négociation en cours à l’UNESCO, malgré les tentatives
d’instrumentalisation de certains pays.

A peine plus de deux ans se sont écoulés entre le lancement des travaux à
l’UNESCO et leur aboutissement sous forme de cette convention. A l’échelle
du temps des négociations internationales, vous observerez avec moi que
c’est un délai particulièrement bref pour être souligné, d’autant que les
obstacles ont été nombreux et constants.

Je souhaiterais revenir avec vous sur quelques caractéristiques de la
négociation, qui ont été essentielles à sa réussite et dont il me semble que
nous pouvons tirer quelques enseignements pour l’avenir.

En premier lieu, je veux rappeler que l’idée de bâtir un nouveau texte, ayant
force juridique, en faveur de la diversité culturelle revient, en premier lieu, à
nos amis canadiens, à la suite d’un panel qu’ils avaient perdu à l’OMC
concernant la presse magazine en 1998. Les canadiens ont émis l’idée d’un
« instrument international » en faveur de la diversité culturelle. De
nombreuses discussions entre la France, le Canada et le Québec, auxquelles
Jean Musitelli entre autres [à la tribune] a pris part dès le début – et je tiens ici
à saluer son rôle dans cette aventure collective -, ont permis de faire
progresser cette notion. C’est lorsque le Canada a imaginé le Réseau
International pour la Politique Culturelle (RIPC), premier réseau ne regroupant que des ministres de la culture, que le concept a circulé entre de
nombreux pays et a progressivement pris corps. Ce sont enfin les ministres
de la culture de ce réseau qui ont formellement demandé en 2003 au
Directeur Général de l’UNESCO d’explorer la possibilité d’une convention
internationale sur la diversité culturelle.

Le fait d’avoir rallié aussi tôt une cinquantaine de pays, puis davantage,
autour de la diversité culturelle, a incontestablement été déterminant pour la
dynamique de la négociation en permettant d’atteindre rapidement une
« masse critique » de partisans. Même si je peux comprendre que
l’expression « exception culturelle » soit regrettée, il faut bien reconnaître que
celle de « diversité culturelle » qui lui a été substituée a sans aucun doute été
plus fédératrice et plus pertinente. Elle nous a permis de multiplier le nombre
de nos alliés dans ce combat, alors que la précédente a toujours été perçue
comme trop française.

Dans cette affaire, le mérite de la France aura été de comprendre que la
question des identités culturelles est sûrement l’une des grandes questions
de ce siècle. Nous avons été le premier pays à porter ce débat au niveau des
chefs d’Etat et de gouvernement. C’est ce qu’a fait le Président de la
République au Sommet sur le développement durable de Johannesburg en
septembre 2002. Cette victoire diplomatique est une victoire de la France et
du Président.

En second lieu, je souhaite m’arrêter sur l’attitude de l’Europe dans cette
négociation pour m’en féliciter. Personne n’avait jamais douté – en tout cas
pas moi – que la diversité culturelle soit l’un des fondements de l’identité
européenne. J’irai même plus loin en affirmant que, si l’on veut maintenant
donner un sens à l’avenir de la construction européenne, il faut placer la
culture et les valeurs au coeur de notre projet collectif.

J’avais d’ailleurs eu l’occasion d’en discuter avec le président de la
Commission José Manuel BARROSO dès janvier 2005 et de constater qu’il
partageait ces préoccupations.

Dans les négociations à l’OMC, et notamment dans l’actuel cycle de Doha,
l’Union européenne a toujours défendu scrupuleusement ce principe en
refusant de prendre le moindre engagement de libéralisation dans
l’audiovisuel ou le cinéma, et en s’abstenant aussi de formuler des demandes
de libéralisations dans ces secteurs aux autres membres de l’OMC.

Il faut se féliciter que la même attitude, unie et sans faille, ait été celle de
l’Union européenne tout entière lors de la négociation de l’UNESCO. La
Commission européenne, armée d’un mandat clair des Etats membres, a pu
affirmer sans ambiguïté une position forte. C’était une première pour elle,
dans le contexte très spécifique de l’UNESCO, et je suis convaincu que cette
unité a contribué de manière décisive à l’avancée rapide de la discussion. On
imagine d’ailleurs sans mal l’effet désastreux qu’aurait, à l’inverse, provoqué
une cacophonie européenne sur un sujet aussi essentiel.

Enfin, l’implication permanente et le soutien actif des milieux professionnels
ont été particulièrement marquants tout au long du processus de l’UNESCO.

Il serait trop long de rappeler l’ensemble des initiatives, rencontres,
déclarations qui ont émaillé ce parcours. Toutes ont été précieuses pour
mobiliser les consciences et expliquer le sens et l’absolue nécessité de la
négociation. Je pense entre autres au travail remarquable des coalitions en
faveur de la diversité culturelle, qui sont maintenant une trentaine à travers le
monde, et notamment la coalition française présidée par Pascal ROGARD [à
la table, modérateur] dont je salue l’engagement, coalition dont l’ARP est
également un membre très actif.

Permettez-moi aussi de me réjouir que les rencontres pour l’Europe de la
Culture, dont la France a pris l’initiative de la première édition en mai dernier
à Paris en présence de plus de 800 artistes, écrivains et professionnels de
l’Europe entière, soient maintenant devenues un rendez-vous régulier, avec
la deuxième édition qui aura lieu à Budapest en novembre puis en Espagne
l’an prochain. Ces premières rencontres ont été l’occasion de mettre des voix,
des visages, des noms européens sur ces concepts de diversité culturelle.

Elle a aussi été l’occasion pour les participants d’adopter une déclaration en
faveur d’une charte pour l’Europe de la culture qui, je l’espère, servira de
base à l’avenir à nos réflexions sur la meilleure prise en compte de la culture
dans le projet européen.

Pour autant, notre travail n’est pas terminé et notre engagement collectif ne
doit pas s’arrêter là.

La première des choses à faire est bien évidemment de faire ratifier cette
convention. Pour qu’elle entre en vigueur, il est en effet nécessaire en vertu
des règles de l’UNESCO que celle-ci soit ratifiée par un minimum de 30 Etats.

Par ailleurs, cette ratification doit intervenir rapidement afin que la première
réunion des Etats parties à cette convention puisse se tenir d’ici 2 ans, lors de
la prochaine Conférence générale de l’UNESCO.

En vérité, nous devons nous fixer un objectif plus ambitieux, à savoir faire
ratifier au plus vite le plus grand nombre d’Etats, au premier rang desquels
les pays membres de l’Union européenne et nos amis du RIPC. Une lenteur
excessive dans le processus de ratification n’augurerait rien de positif pour
l’avenir de la Convention, sa mise en oeuvre effective et donc le rôle de
contrepoids que nous lui assignons vis-à-vis de l’OMC.

Là encore, les efforts conjoints des professionnels et des Etats seront
indispensables et la mobilisation doit se maintenir à son plus haut niveau. Ils
sont d’autant plus nécessaires qu’il est vraisemblable que les pays qui
n’étaient pas favorables à ce texte, vont en sens inverse user de toutes leurs
capacités d’influence pour retarder son entrée en vigueur.

Le diversité culturelle n’a pas qu’une dimension internationale et
européenne : elle doit s’incarner dans chacun des pays. Je le fais en France.

J’y reviendrai tout à l’heure. Nous pouvons nous féliciter d’avoir fait aboutir
tous ensemble une grande ambition au service de la culture et de la
communauté internationale.

Je voudrais terminer en revenant sur la diversité culturelle sous l’angle
européen. Je disais tout à l’heure qu’il y avait tout lieu de se réjouir de l’unité
européenne autour de la Commission européenne. Je veux y voir une prise
de conscience et un engagement déterminé de la Commission européenne
en faveur de la promotion de la diversité culturelle sur la scène internationale.

Comme j’ai eu l’occasion de le dire en septembre dernier à la commissaire
Viviane REDING ainsi qu’à sa collègue en charge de la concurrence, Neelie
KROES, il ne me paraîtrait pas compréhensible que la Commission
européenne adopte maintenant une attitude différente vis-à-vis de la diversité
culturelle à l’intérieur même de l’Union européenne.

L’une des premières occasions à saisir est à l’évidence la renégociation de la
directive télévision sans frontières. Ce texte, constitué depuis 1989, est
aujourd’hui encore un formidable instrument de promotion des contenus
européens dans leur diversité sur les chaînes de télévision « classiques ». A
l’occasion de la renégociation de ce texte, s’est engagée la réflexion sur son
élargissement du champ aux nouveaux services et aux nouveaux supports
audiovisuels. Je souhaite que nous maintenions cette ambition légitime de diversité afin que les contenus européens bénéficient pleinement de la
révolution numérique et de ses nouveaux débouchés, dont vous reparlerez ici
même à Beaune dans les débats qui suivront.

La France attend donc que la future directive prévoie des dispositions en
faveur de la promotion de la diversité culturelle pour ce que l’on appelle les
services « non linéaires ». Je serai très attentif à ce point dans le projet de
directive que la Commission européenne devrait transmettre aux Etats
membres d’ici la fin de l’année.

L’autre occasion pour l’Europe de se montrer ambitieuse en matière de
diversité culturelle tiendra à la façon dont la direction générale de la
concurrence entend encadrer les politiques publiques, et tout particulièrement
celles en faveur du cinéma. C’est une question d’actualité pour la France.
Comme vous le savez en effet, la Commission est maintenant entrée dans la
phase active d’examen du système de soutien français au cinéma et à
l’audiovisuel que la France lui a notifié fin 2004. La Commissaire m’a assurée
être pleinement consciente des enjeux que représentaient ces aides pour
l’existence du cinéma français et européen. Je lui ai redit que, de mon point
de vue et de celui de mes collègues européens, il ne saurait y avoir de
cinémas nationaux en Europe, donc pas de cinéma européen, sans aides
publiques.

Les contacts entre le CNC et les services de la Commission européenne
s’étant intensifiés ces derniers jours, nous avons maintenant le sentiment
qu’une partie importante de notre système pourrait être autorisée
prochainement par la Commission, pour autant que nous procédions à
l’aménagement de certains dispositifs qui posent des problèmes de
conformité au droit européen. C’est le cas principalement des crédits d’impôt
au cinéma et à l’audiovisuel, et des dispositifs d’aide aux industries
techniques.

J’ai donc demandé à Véronique CAYLA, directrice générale du CNC, de se
rapprocher de la profession dans les jours qui viennent, afin de discuter avec
vous des modalités possibles d'évolution de ces outils. Nous savons tous
qu’ils sont efficaces et nécessaires au développement du cinéma français. Il
n’est donc pas question de les supprimer. Mon souhait et d’en préserver
l’esprit, l’objet et l’efficacité, et d’en aménager les modalités de
fonctionnement pour garantir leur parfaite compatibilité avec les exigences
communautaires. Tel est l’engagement personnel que j’ai pris auprès de la
Commissaire.

J’ai également indiqué à Neelie KROES que je souhaitais la revoir d’ici la fin
de l’année afin, de trouver une issue rapide à cette négociation.

Au-delà de cette échéance de court terme qui ne concerne que la France –
mais o combien essentielle – qu’est le renouvellement de l’autorisation de nos
aides au cinéma et à l’audiovisuel, nous devons aussi rester mobilisés
ensemble en vue de l’échéance de 2007, date à laquelle la Commission a
annoncé qu’elle envisageait de revoir les règles applicables aux aides au
cinéma en Europe. Je sais que je pourrai compter sur votre mobilisation dans
les deux ans qui viennent auprès de vos partenaires européens.

Je le répète : la diversité culturelle n’a pas qu’une dimension internationale et
européenne : elle doit s’incarner dans chacun des pays. Je le fais en France
que ce soit pour le court-métrage pour lequel le CNC à a demande a confié
une mission à Alain Rocca ou pour le maintien de l’attractivité de l’instrument
financier que représentent les soficas ou encore la mise au point du
mécanisme de riposte graduée dans le cadre du projet de loi sur le droit
d’auteur. Je pourrais citer d’autres exemples qui tous témoignent de ma volonté de préserver de développer la création et la diversité dans toutes ses
composantes, y compris les plus fragiles.

Je vous remercie.

Laisser une réponse