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Remise des insignes de Chevalier dans l’ordre des arts et des lettres à Pierre Cheremetieff

Cher Pierre Cheremetieff,

C’est la musique qui nous rassemble aujourd’hui, dans la profondeur de
ses racines et de ses traditions, dans la diversité de ses expressions et
de ses créations, dans la nécessité de son enseignement et de sa
transmission. Et je suis très heureux et très fier de distinguer
aujourd'hui, au nom de la France, le Président de la Société musicale
russe en France, le recteur du Conservatoire Rachmaninov, l’homme
de culture, l’amoureux de la France, le passeur de cultures entre la
Russie et la France, deux grands pays dont vous n’avez cessé de
contribuer à renforcer les liens très forts qui les unissent, fondés sur la
culture, la musique, la littérature et l’art, des liens d’amitié et d’intimité,
que jamais les soubresauts de l’histoire n’ont pu briser.

Permettez-moi d’évoquer les quelques mots touchants, qui m’ont
beaucoup ému, que vous m’avez écrits au début de cette année, après
votre nomination dans l’Ordre des Arts et des Lettres, où vous m’avez
fait comprendre toute l’importance qu’eut pour vos parents l’accueil de
la France, au tout début des années vingt, un sentiment dont ils vous en
ont parlé constamment, durant toute leur vie, et qui prend, me semble-til,
tout son sens aujourd’hui. Car si la France, au-delà de l’exil, est votre
patrie, c’est plus qu’en termes d’adoption, d’accueil et de coeur. C’est
en vertu de cette histoire commune et féconde qui n’a cessé de
rapprocher nos poètes, nos penseurs, nos artistes à travers les siècles,
depuis Louis XIV et Pierre le Grand, Catherine II et Voltaire qui lui légua
sa bibliothèque, Glinka et Berlioz, Debussy et Stravinsky qui
déchiffrèrent ensemble « le Sacre du Printemps », avant la création par
les « Ballets Russes » de Serge Diaghilev en 1913, et celle de la
Société musicale russe en 1857, qui fut à l’origine des Conservatoires
de Moscou et de Saint-Pétersbourg, et qui s’est établie en France en
1921.

C’est en son sein, que fut fondé en 1923 à Paris le Conservatoire
russe, par d’éminents musiciens, anciens professeurs des
conservatoires impériaux de Russie, dont Rachmaninoff, son premier
Président d’honneur, mais aussi Chaliapine, Glazounov et
Gretchaninoff. Ils ont contribué au rayonnement du Conservatoire que
vous présidez aujourd’hui, et dont les plus grands interprètes, comme
Horowitz, Milstein, Piatigorsky, Borovsky, en y donnant des concerts, et
en y faisant naître tant de vocations, ont assuré le rayonnement qui se
poursuit aujourd’hui.

Le Conservatoire, c’est aussi un lieu de rencontres et de convivialité.
Et permettez-moi d’évoquer un souvenir personnel, celui de La
Cantine, aménagée dans les anciennes cuisines de l’hôtel particulier,
face à la Tour Eiffel, entre le Palais de Tokyo et la Fondation Mona
Bismarck, qui est, depuis le début des années vingt, l’un des lieux les
plus authentiques où trouver la meilleure cuisine russe de Paris, servie
sur les nappes en vichy rouge et blanc, mais aussi un lieu où les
musiciens, les élèves du Conservatoire, mêlés à des habitués du
quartier, et à quelques célèbres figures de la communauté russe,
comme il y a encore récemment Peter Ustinov, créent une ambiance à
nulle autre pareille.

Né au Maroc, à Kenitra, vous êtes un descendant direct de l’une des
plus anciennes, des plus nobles, et des plus prestigieuses familles de
Russie, celle des premiers princes de Kiev et de la dynastie des
Ruriks, dont la chronique remonte au IXe siècle.

Vos parents étaient musiciens et vous avez vous-même appris très tôt
le piano, le violon, la guitare et le chant. Vous êtes un grand architecte.

Diplômé de l’Ecole Spéciale d’Architecture de Paris, major de votre
promotion, en 1959, vous avez obtenu dès 1957 le premier prix du
concours international de la biennale d’art moderne de Sao Paulo, en
tant qu’architecte représentant la France. Vous avez réalisé de
nombreux projets, dans le monde entier, d’équipements publics ou
privés, d’hôpitaux, d’hôtels ou d’immeubles d’habitation. En tant que
ministre en charge de l’architecture, je suis heureux de le souligner.

J’ai évoqué votre pratique et votre formation musicales. Depuis que
vous avez pris la présidence de la Société musicale russe en France, il
y a vingt ans, puis que vous êtes devenu, quelques années plus tard,
recteur du Conservatoire Serge Rachmaninoff, vous avez développé
l’enseignement de cette grande école artistique libre, reconnue d’utilité
publique, conformément à la tradition de l’école russe du piano et du
chant, mais aussi d’art dramatique, dans de nombreuses disciplines.

Outre la musique et les instruments, c’est aussi l’histoire de la
musique, la danse, la langue russe, l’éveil musical pour les enfants, et
de nombreux concerts, conférences et manifestations culturelles, qui
continuent à assurer, sous votre présidence, le rayonnement et la
réputation du Conservatoire. Ce lieu pédagogique et artistique est
aussi une maison qui a une âme, et où est rassemblée une
remarquable collection d’oeuvres d’art, de portraits, et d’autographes
de musiciens, ainsi qu’une importante bibliothèque musicale.

Je sais que vous avez des projets pour le conservatoire, que vous
souhaitez agrandir. Mais vous pensez aussi à l’aménagement de la
demeure d’Ivan Tourguéniev à Bougival.

Vous présidez le Festival pour la promotion du piano d’Enghien-les-
Bains, et vous vous appliquez à développer l’amitié franco-russe dans
tous les domaines des arts et de la culture. Vous vous êtes impliqué
dans la célébration du tricentenaire de Saint-Pétersbourg et dans la
présence de la culture française dans ce pays qui y a toujours été
sensible. Vous avez fondé et vous présidez le centre culturel
Cheremetieff de Tomsk en Sibérie et d’Ivanovo-Voznessensk, sur la
Volga, ville où vous êtes citoyen d’honneur. Vous y êtes aussi recteur de l’Université de l’éducation et de l’image. Avec la Société des
Français Amis de la Russie, dont vous êtes le Vice-Président chargé
de la culture, vous venez de créer un autre centre culturel, dans la ville
emblématique de Yalta, en Crimée. Vous avez fondé en Russie, à
Saint-Pétersbourg, mais aussi à Moscou, à Volvograd, à Nijni-
Novgorod, et dans d’autres villes, les « Chorélies Chemeretieff »,
festivals d’art sacré.

Vous vous engagez dans tous les aspects du développement de la
Russie et des relations franco-russes. Ainsi, vous avez créé, avec les
plus éminents hommes d’affaires de France et de Russie, l’association
Dialogues franco-russes. Et vous êtes chargé des affaires russes au
sein d’un cabinet d’avocats.

Pierre Cheremetieff, au nom de la République, nous vous faisons
chevalier dans l’Ordre des Arts et des Lettres.

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