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Remise des insignes de Chevalier dans l’ordre national de la Légion d’honneur à François Florent

Cher François Florent,

C’est un grand plaisir et un grand bonheur de vous recevoir ici, au
ministère de la culture qui est avant tout, la maison des artistes, et de
vous y mettre à l’honneur.

Former et promouvoir de jeunes comédiens pour la scène et l’écran fut
et demeure pour vous le dessein d’une vie. Vous êtes une figure
emblématique de l’enseignement du théâtre depuis près de 40 ans
dans notre pays et je vous exprime ma gratitude d’avoir toujours inscrit
votre passion et vos objectifs dans un cadre européen dont vous savez
combien il me tient à coeur, et, au-delà, dans une perspective
internationale.

En effet, l’année 2005 est celle où l’école indépendante de formation
artistique que vous avez créée en 1967 et que nous aurions beaucoup
de mal, je l’avoue, à ne plus appeler, bien que ce soit votre souhait, le
Cours Florent, tant vous avez su en faire un élément essentiel de notre
vie artistique et culturelle, – où cette école, donc, transporte en Chine
son savoir, son expérience et son enseignement : vous organisez
dorénavant à Pékin des sessions et des stages de formation au métier
de comédien, pour des jeunes gens qui s’initient parallèlement à la
langue française.

C’est donc notre culture et notre patrimoine que vous contribuez à faire
connaître et aimer bien au-delà de nos frontières, à l’heure où
précisément la culture s’affirme comme un vecteur du rapprochement
des êtres et des peuples.

Cette ouverture sur l’Europe et le monde, elle vous vient, cher François
Florent, de votre enfance et de votre histoire familiale.
Vous vous réclamez en effet d’une triple culture.

Vous êtes né Allemand, en 1937, à Mulhouse. L’alsacien est votre
langue maternelle, et l’allemand celle de l’école primaire.
Puis vous devenez Français et vous apprenez en 1945, après la
Libération, votre langue, notre langue française.

Vous avez aussi la fibre anglo-saxonne, car, beaucoup des vôtres ayant
émigré en Angleterre ou aux Etats-Unis, vous participez également de
cette culture dont vous maîtrisez parfaitement la langue.

A cette triple culture, qui ne suffit évidemment pas à dépeindre la
richesse de votre personnalité, mais qui permet assurément d’en
approcher la complexité, il faut cependant, cher François Florent, en
ajouter une autre, issue du milieu très clérical de votre enfance, pour
compléter le portrait que vous tracez d’ailleurs de vous-même, lorsque
vous vous définissez comme catholique, jacobin, fédéraliste européen.
Si les circonstances historiques et géographiques de votre naissance
ont, sans nul doute, tracé votre destin d’Européen, c’est, aussi, le
contexte religieux de votre éducation et l’aspect spectaculaire des
choses de l’Eglise qui ont fait de vous l’incurable homme de théâtre que
nous connaissons.

« Enfant du Concordat, dites-vous en substance, j’étais enfant de
choeur, chantais du grégorien, étais partagé le dimanche entre les
charmes de la grand-messe du matin et de Madame Butterfly l’aprèsmidi,
et lorsqu’à l’âge de 12 ans, mes marraine, grand-mère et tante
m’ont emmené à Saint-Pierre de Rome voir le Pape Pie XII, je fus ébloui
par une mise en scène aussi grandiose ; ma vocation fut dans l’instant
arrêtée : je voulais être Pape ».

Votre arrivée à Paris, en septembre 1956, a quelque peu contrarié cette
vocation, car vous êtes accepté au Centre d’Art dramatique de la Rue
Blanche, puis vous entrez au Conservatoire, dans la classe de René
Simon. Dès lors, c’en était fait, et votre destin était scellé : votre
sacerdoce, c’est au service du théâtre, de ses auteurs et de ses acteurs
que vous alliez l’exercer.

D’ailleurs, combien de fois ne l’avez-vous dit et répété, aux générations
de comédiens que vous avez formées et dont vous avez accompagné
l’envol de carrières souvent brillantes : « N’oubliez jamais que nous ne
sommes pas là pour la gloire mais pour la servitude » ?

Servitude, ou plutôt service des grands textes et de la culture : c’est là
pour vous un véritable credo. Service de la scène et de l’Art, qui sont les
plus beaux métiers, mais sans doute aussi les plus difficiles, les plus
belles vocations à transmettre, mais aussi, sans doute, les plus
exigeantes.

A vos débuts, une certaine timidité, voire un peu de maladresse à
habiter votre physique, représentent pour vous un handicap. Vous vous
réfugiez dans une certaine emphase et les emplois de vieillards nobles.
Vous vous prenez d’une jalousie dévorante pour Gérard Philipe que
vous vous évertuez à trouver mauvais, et il vous arrive aujourd’hui
encore de déplorer qu’un Gérard Depardieu n’ait pas à l’époque
bouleversé la donne des idées reçues sur le physique d’un acteur de
théâtre ou de cinéma !

Puisqu’il fallait être – comment dire, en bon français ? – « glamour »…
pour être acteur, vous décidez que c’est du fond de la salle que vous vous exprimerez, que c’est dans l’ombre que vous rencontrerez votre
vérité, que c’est aux autres que vous laisserez la lumière.

Ce faisant, vous n’étiez sans doute pas conscient, cher François Florent,
que c’est vous qui deveniez la lumière, et que, votre carrière durant,
vous alliez la diriger sur la vaste scène du nécessaire apprentissage de
ce dur et beau métier de comédien.

De 1962 à 1967, vous êtes professeur d’art dramatique au
Conservatoire du 17ème arrondissement, puis au Conservatoire de
Puteaux.

En 1967, vous créez le Cours Florent, et rendez ainsi fameux le
pseudonyme que vous aviez adopté à votre arrivée à Paris, votre
véritable nom étant François Heichholtzer.

Longtemps installé Quai d’Anjou, le Cours Florent occupe aujourd’hui de
vastes locaux, répartis sur 3 sites, à la mesure de son audience.

L’équipe pédagogique et d’encadrement compte une centaine de
personnes et les 3 années du cycle de formation regroupent un millier
d’élèves, véritable pépinière de nos plus beaux talents. Sophie Marceau,
Isabelle Adjani, Daniel Auteuil, Anne Parillaud, Jacques Weber, José
Garcia, Gad Elmaleh, Vincent Lindon, Sandrine Kiberlain, Yvan Attal,
Guillaume Canet, Isabelle Carré ont tous bénéficié de votre formation.

Vous êtes un pédagogue qui se défie de toute recette. Vous préférez
l’expérience à la théorie, laissant toute liberté aux professeurs qui
enseignent chez vous. Pour que les élèves acquièrent virtuosité et
souplesse, vous aimez à leur proposer des confrontations de styles, de
thèmes ou d’auteurs, lors d’exercices de style opposant scènes en
alexandrins à scènes de vaudevilles, Marivaux à Goldoni, personnages
brechtiens aux valets et soubrettes du XVIIIe siècle.

En 1979, avec Francis Huster, aujourd’hui doyen des professeurs de
l’École, après en avoir été l’élève, vous initiez « la classe libre », qui
accueille sur concours une vingtaine d’élèves pour une scolarité gratuite
de deux ans, et qui compte aussi à son palmarès quelques-uns des plus
beaux talents de notre scène et de notre écran, telle Dominique Blanc,
issue de la première promotion.

En 1984, au nom de votre combat pour substituer les notions
d’institutionnel et d’indépendant à celles de public et de privé, vous
entreprenez une véritable croisade pour que l’école que vous avez
fondée et que vous dirigez ne soit plus appelée « Cours Florent », mais
« Florent : école indépendante de formation artistique », revendiquant
haut et fort votre liberté et votre indépendance, ainsi que vos convictions
européennes, grâce à d’éloquents intitulés : « Florent, European Acting
School » et « Florent, europaïsche Schauspielskunstschule ».
De toute façon, cher François Florent, votre personnalité, votre rôle
éminent, depuis 40 ans, dans l’enseignement de l’art dramatique, vous
permettent de transgresser toutes les catégories. Nous vous aimons
pour votre passion, pour votre engagement au service de
l’enseignement du théâtre, pour votre foi en l’Europe, votre mépris des
modes, vos colères et votre truculence.

Votre appétit de théâtre et d’enseignement vous a conduit aussi à
diriger, de 1970 à 1973, l’Ecole du Théâtre Populaire de Reims auprès
de Robert Hossein, et à être membre-fondateur depuis 1990 du World
Theater Training Institute.

Depuis l’année 2000, vous avez initié une nouvelle aventure en prenant
la direction du Théâtre du Marais, et ce fut un très beau passage de
témoin avec Jacques Mauclair avant que celui-ci malheureusement ne
nous quitte. Votre propos est essentiellement d’en faire un tremplin pour
les jeunes comédiens et les jeunes compagnies, et d’y accueillir
régulièrement les travaux des écoles supérieures d’art dramatiques
européennes. Le succès est aujourd’hui au rendez-vous, avec « Vincent
River » de Philip Ridley dans la mise en scène de Jean-Luc Revol.

François Florent, au nom du Président de la République et en vertu des
pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons chevalier dans
l’Ordre national de la Légion d’Honneur.

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