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Remise des insignes de commandeur dans l’Ordre des Arts et des Lettres à Jean-Claude Zylberstein

Cher Jean-Claude Zylberstein,

Vous avez fait tant de choses, abordé tant de domaines de la pensée et de
l’action. Vous avez réussi dans chacun d’eux. Aussi n’en ferai-je pas
l’inventaire.

Pour que ces actes tiennent ensemble, pour qu’il y ait une si belle
cohérence, une si belle unité, une véritable harmonie au sein des aléas,
des combats, de la diversité de vos actions et de vos engagements, il faut
une source, il faut un axe, il faut un motif premier et essentiel : le goût
fondamental, en vous, de la liberté, la croyance obstinée dans la dignité de
l’homme, dans son droit absolu de vivre, d’aimer, d’écrire, comme il
l’entend, où qu’il soit, d’où qu’il vienne, une foi totale dans la vertu de la
culture, des lumières de l’esprit. Comme si vous aviez toujours désiré,
comme si vous aviez toujours oeuvré, loin d’un souvenir terrible de votre
enfance, pour que l’homme ne soit plus jamais traqué, humilié, soumis à la
barbarie, aux forces les plus obscures et les plus maléfiques, aux ravages
de la nuit criminelle, contraint de se cacher, de se retirer dans le sous-sol
du monde.

Oui, c’est la littérature qui peut sauver, c’est la littérature qui ramène vers la
lumière, c’est la littérature qui est le principal moyen de résistance,
d’élévation de soi : c’est ce que vous avez toujours pensé, c’est ce qui a
orienté votre vie.

D’une certaine manière, vous n’avez jamais cessé d’être un militant, au
sens le plus noble du terme. Vous ne vous êtes jamais contenté de vos
propres éblouissements littéraires, vous avez toujours voulu, comme une
mission, comme un devoir, perpétuer et encourager le goût de la lecture.
La démocratisation de la culture, n’est pas un mot, un slogan, pour vous,
mais la réalité, l’engagement de votre vie.

Les collections que vous avez créées, chez 10/18, auprès de Christian
Bourgois, notamment « Domaine étranger », « Grands détectives »,
« Musiques & Cie », auxquelles il faut ajouter, plus récemment, « Culte
fictions », et « Pulp fictions », à La Découverte, vont dans le même sens.

Ce sont des modèles d’ouverture à tous les horizons de la littérature, de
résurrection d’oeuvres majeures passées, qui risquaient d’être oubliées ou
à jamais méconnues. Ce sont des révélations de très grands auteurs
actuels, que vous nous avez fait découvrir et qui passionnent le lecteur
français. Jim Harrison, Toni Morrison, Ishiguro, pour ne citer qu’eux, font
désormais partie, grâce à vous, de notre paysage littéraire.

Vous aimez, dans la littérature, ce qui révèle, à travers les malheurs et les
épreuves, la grandeur de l’homme ; vous aimez les écrivains qui, à travers
le temps, défendent, fragiles, courageux, inaltérables, le droit de l’homme
à maîtriser, autant que possible, son destin.

Ce n’est pas simplement pour vous une question métaphysique, un enjeu
moral, c’est un investissement concret, quotidien.

En tant qu’avocat, combien de causes avez-vous défendues depuis 1973,
où vous avez été nommé à la Cour d’Appel de Paris, avec une seule
ligne, toujours, celle de la défense inlassable des créateurs, de Salman
Rushdie à Françoise Sagan, d’Yves Navarre à Daft Punk.

Ce n’est pas un hasard, bien sûr, si vous êtes aussi, depuis 1977,
conseiller juridique de la société des lecteurs de Jean Paulhan, ce
seigneur des lettres, dont vous étiez très proche, ce prince des mots et
de la vie, qui unissait, comme personne, la plus haute définition du style et
la force de l’engagement.

Aujourd’hui, le cabinet que vous dirigez est renommé pour ses
compétences dans l’ensemble des industries culturelles. Spécialiste du
droit de la propriété littéraire et artistique, membre des comités juridiques
de la société des gens de lettres et des sociétés d’auteurs enseignants,
vous posez les questions pertinentes, actuelles, nouvelles, et notamment
celle de la justice face aux nouvelles technologies.

Peut-être faut-il inventer de nouveaux codes, de nouvelles manières
d’apprécier, une nouvelle façon d’être juste face aux surprises, aux
merveilles et aux pièges de la modernité : nous comptons sur vous pour
nous éclairer, pour nous guider. Ce qui est certain, c’est que nous
saurons toujours avec vous où est l’art, où est la beauté, où est la liberté,
car vous n’avez jamais cessé d’être à la fois rigoureux et rebelle,
exigeant et humain. Ce combat du coeur, où les lettres, et le droit, se
conjuguent à la vie, reste le vôtre. Il est aussi le nôtre.

C’est pourquoi, cher Jean-Claude Zylberstein, je suis particulièrement
heureux et fier, au nom de la République, de vous faire Commandeur
dans l’ordre des Arts et Lettres.

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