Remise des insignes de Chevalier dans l’Ordre national du Mérite à Smaïn
Cher Smaïn,
Je suis très heureux de vous accueillir aujourd’hui, pour honorer en vous un
grand comique, un acteur accompli, et une personnalité si attachante qu’elle a
conquis le coeur de tous les Français.
« Né entre mistral et sirocco », comme vous aimez à le dire, sous le soleil de
Constantine, vous avez quitté très jeune l’Algérie pour grandir à Saint-Mandé.
Comme tous les enfants de cette époque, vous rêvez devant Belphégor et les
vedettes du petit écran. Mais vous savez déjà qu’un jour vous passerez de
l’autre côté du miroir, pour rejoindre vos idoles, et, au premier rang, l’inoubliable
Monsieur Loyal de La Piste aux étoiles, au nom duquel vous décidez
d’embrasser la carrière de « saltimbanque ».
De votre admiration sans borne pour Roger Lanzac vous vient sans doute cette
verve, cette faconde, qui vous a permis, avec la même aisance, de jouer
Mouloud, le nouveau voisin de palier, et de revisiter Les Fourberies de Scapin.
Vos sources d’inspiration sont aussi diverses que prestigieuses. Grand
admirateur de Jerry Lewis, vous passez maître dans l’art de la grimace élastique
et des mimiques hilarantes. Fasciné par Buster Keaton, vous apprenez la force
du burlesque, corrosif et tendre à la fois. De tous ces monstres du rire, vous
retenez leur formidable énergie, mais aussi leur grande humanité.
C’est cette énergie, et la justesse de vos textes qui frappent Philippe Bouvard
lorsqu’il vous découvre, au début des années quatre-vingts, au Caveau de la
Bolée. Répondant à votre vocation de saltimbanque, vous vous produisiez alors
sur les scènes des cabarets parisiens. Vous rejoignez Le Petit Théâtre de
Bouvard en 1983 et des millions de téléspectateurs découvrent votre visage. Le
succès est immédiat.
Avec vous, un vent nouveau souffle sur la scène comique française, et vous
rejoignez bientôt d’autres jeunes espoirs du rire, Seymour Brussel, mais aussi
Pascal Légitimus, Bernard Campan et Didier Bourdon, encore peu connus, mais
pas encore Inconnus. Avec eux vous formez « Les Cinq », avant de céder aux
sirènes de la carrière en solo.
Dans votre premier one-man-show, le bien nommé A Star is beur, vous jonglez
avec les cultures, et épinglez l’intolérance, les préjugés, l’hypocrisie, les ridicules
et les bassesses ordinaires avec un humour mordant, une férocité joyeuse, et
une fausse naïveté désarmante. Le public est conquis, il court vous applaudir
dans votre deuxième spectacle, Prise de tête, et vous fait un triomphe à
l’Olympia pour votre troisième, T’en veux ?, à la fin des années quatre-vingts.
Tourbillon de vie et de rire, vous emportez dans votre élan, en 1994, l’un des
plus grands classiques de notre répertoire dramatique, Les Fourberies de
Scapin. Vous bousculez, réinventez, étonnez et séduisez. C’est un nouveau
succès.
En 1996, vous êtes à l'affiche du Théâtre de Paris avec Comme ça se prononce,
qui vous vaudra de nombreuses distinctions, et notamment le Molière du meilleur
One-man-show.
Ce n’est pas la première récompense prestigieuse qui couronne votre travail
puisque, près de dix ans plus tôt, le film L’oeil au beur(re) noir, de Serge
Meynard, dont vous partagiez l’affiche avec Pascal Légitimus, remportait le César
du meilleur premier film. Car des réalisateurs audacieux ont su capter ce
tourbillon sur grand écran, pour nous offrir de beaux moments de comédie, et
notamment Les Deux papas et la maman, de Jean-Marc Longval et vous-même,
Charité Bizness, de Thierry Barthes et Pierre Jamin, ou encore Le Schpountz, de
Gérard Oury.
En 2006, un an après votre retour gagnant sur les planches, avec Rebelote, vous
vous plongez dans les pages les plus sombres de l’histoire de votre pays natal.
Vous livrez une interprétation bouleversante, et dévoilez un jeu d’une très grande
sensibilité dans le téléfilm Harkis, d’Alain Tasma. Un contre-emploi, dirait un
spectateur peu attentif à la profonde humanité qui se dégage derrière tous vos
masques, et à votre engagement constant dans la lutte contre le racisme,
l’intolérance et l’exclusion. Engagement dont vous avez fait preuve à de
nombreuses reprises, aux côtés notamment de SOS Racisme et des Enfoirés.
C’est aussi à ce coeur immense, qui déborde de votre habit de clown, que je
tiens, en mon nom personnel et au nom de la France, à rendre hommage ce soir.
Smaïn, au nom de la République, nous vous faisons Chevalier dans l’Ordre
national du Mérite.