REMISE DES INSIGNES DE CHEVALIER DANS L’ORDRE DES ARTS ET DES LETTRES A ALAIN COUTURIER
Cher Alain,
Je suis très heureux d’honorer aujourd’hui en toi un homme de goût, un alchimiste des saveurs, dont l’art subtil, précieux et rare charme les papilles et ravit les palais. « Si vous nêtes pas capables dun peu de sorcellerie, ce nest pas la peine de vous mêler de cuisine », disait Colette. Tu es, depuis près de vingt ans, le sorcier qui hante ces lieux magiques, ce manoir envoûtant où ceux qui goûtent à tes mets, comme ceux qui burent jadis à la coupe de Circé, n’ont jamais plus envie de partir.
Permets-moi tout d’abord d’esquisser, comme il se doit, quelques tableaux des différentes étapes de ta brillante carrière.
Ta naissance, tout d’abord, à Paris. Tu ne profiteras de la capitale que quelques mois, avant que tes parents, pâtissiers, achètent un établissement à Loches, où ils resteront 34 ans.
L’école primaire, ensuite, et le brevet des écoles. La livraison de gâteaux à vélo, par tous les temps, et les brioches aux communions, comme c’était alors la coutume, occupent tes journées. Ton aisance à manier les chiffres incitent ton père à choisir pour toi une carrière de banquier. Mais tu préfères déjà la toque au costume trois pièces, et tu insistes pour apprendre le métier.
Te voilà à Amboise, à la « Bonne étape », sur les bords de la Loire. Tu as seize ans, nous sommes en 1970. De cette époque tu ne gardes pas de grands souvenirs de cuisine. Mais tu apprends à couper le bois, et à laver le sol avec les fiels de poulet, plus économiques que l’eau de javel. Un jour, tu casses une assiette, et tu refuses de payer 50 francs pour la rembourser, alors que tu ne gagnes que 15 francs par mois. Tu rentres donc chez tes parents, avec en tête, la seule recommandation que ton ancienne patronne te lance avant ton départ : « Petit, tu ne seras jamais cuisinier » !
Ton père te trouve alors une place d’apprenti chez le redoutable Charles Barrier, connu pour apprécier les gens de caractère. Commence alors ton deuxième apprentissage, cette fois de véritable cuisinier. Cette Maison t’a profondément marqué, et tu dis souvent que c’est grâce à Charles Barrier si nous sommes tous là aujourd’hui, à « La Roche le Roy ».
1973 marque ton départ à Paris, passage obligé en ce temps pour apprendre correctement le métier. Commis saucier au restaurant « Paul Chêne », tu découvres ensuite les coulisses de l’Hôtel Ronceray, avant de rejoindre les cuisines du restaurant « Ledoyen », sur les Champs-Elysées. Le chef de ce grand établissement n’est autre que Guy Legay, auvergnat comme ton père, et originaire du même village de Pontgibaud. Tu y restes deux ans. Deux ans de découverte de l’excellence, de la discipline, et du respect du travail bien fait.
1977, nous sommes en mars. Tu quittes la Grande cuisine pour goûter à des horaires plus doux à l’Hôtel Hilton de Paris. C’est ici que tu rencontres Marilyn, qui deviendra ta femme et ta plus grande complice.
Un an plus tard, vous vous envolez tous les deux pour Londres, chez les frères Roux, au restaurant « Le Gavroche ». La finesse du travail te marque profondément, tout comme les quatorze heures de travail par jour pour un seul service.
De retour à Paris en 1979, tu es prêt à affronter de nouvelles responsabilités. Au Caveau François Villon, tu occupes tous les postes à la fois, Chef, sous-Chef, commis dans une cuisine de trois mètres carrés.
Un an plus tard, tu te retrouves aux commandes de la « Pâtisserie Pain ». L’envie de t’installer te prend alors, après toutes ces années de tribulations.
C’est chose faite en 1980, un premier avril. Tu fais de « La Poivrière », à Tours, un haut lieu de la gastronomie, et tu séduis ta clientèle par ton savoir-faire, et la qualité de tes produits et de tes cuissons.
Mais tu cherches toujours l’endroit idéal pour installer ta tribu et épanouir ton art. Tu penses même à partir à l’étranger. Mais une magnifique demeure, aux abords de Tours, viens d’être mise en vente.
Le 2 janvier 1987, La Roche Le Roy accueille ses premiers clients. Tu fais de ce lieu superbe un rendez-vous pour tous les gastronomes de la région et d’ailleurs, en servant une cuisine respectant les traditions, agréable à l’œil, et divine au palais.
Ta générosité, ta curiosité, ton sens du partage et ton exigence du renouvellement permanent sont les ingrédients principaux de ton très beau succès.
En 1989, ta virtuosité culinaire te vaut ton premier macaron au Guide Michelin, qui ouvre la voie à de nouvelles récompenses, dans de nombreux autres guides, comme le Gault et Millau, le Bottin Gourmand, ou encore le Champérard.
Hier Président actif de notre association Touraine Gourmande, tu es aujourd’hui Membre de l’association internationale des Maîtres Cuisiniers de France. Tu organises également de nombreuses manifestations destinées à mieux faire connaître ta passion au plus grand nombre, comme « Graine de chef », pour les enfants, ou encore le concours « Une soupe, une grand-mère, un petit enfant ». Je n’oublie pas tes nombreuses participations aux concours gastronomiques tels que Taittinger, ou Prosper Montagné, et aux événements relatifs à l’apprentissage.
Cher Alain, je n’ai qu’une prière : continue de mettre ton talent et ton enthousiasme au service de la cuisine et de la restauration ! C’est grâce à des personnes comme toi que le drapeau de la gastronomie française flotte aux quatre coins du monde.
Alain Couturier, au nom de la République, nous te faisons Chevalier dans l’Ordre des Arts et des Lettres.