Vive l’europe de la culture
« L’Europe, avant d’être une alliance militaire ou une entité économique, doit être une communauté culturelle dans le sens le plus élevé du terme ».
Robert Schuman
Depuis 1945, l’Europe a garanti la paix. Elle a favorisé la croissance mais bute aujourd’hui sur les tentations de repli identitaire. La focalisation du débat public européen sur les réformes des institutions communautaires et les révisions accélérées des traités entre 1992 et 2007 ont concentré l’attention européenne sur des questions organisationnelles majeures, mais somme toute secondaires. Elles ont en effet semblé mettre au second plan la question essentielle du fondement même de l’entreprise commune qu’est l’Europe : son identité. Pris au piège des souverainismes frileux, du refus des élargissements incontrôlés et de l’absence d’ambition fédératrice, l’approfondissement de la construction européenne a ainsi rencontré un obstacle qu’elle ne parvient pas à dépasser.
En réponse à cette question identitaire et au déficit de sentiment d’appartenance à une communauté et à une civilisation, la culture peut jouer un rôle fédérateur majeur pour les Européens.
La culture a été et demeure au fondement de la création des Etats-nations qui structurent l’Europe. Que celle-ci emprunte à l’avenir la voie fédérale ou celle de « l’Europe des Etats », elle ne pourra approfondir sa construction ou s’élargir qu’en ayant répondu au besoin inhérent de tout citoyen à se reconnaître dans l’uvre en cours d’édification et à adhérer à ses fondements et valeurs. Les théories fondées sur l’émergence de nouvelles formes de citoyenneté, reposant sur l’adhésion à des principes abstraits, telle que celle développée par Jürgen Habermas sous la forme du « patriotisme constitutionnel », ne me semblent pas pouvoir répondre au besoin de rattachement et d’ancrage historique au cur de la plupart des constructions identitaires étatiques. Dotés d’histoires et de mythes fondateurs séculaires, d’institutions puissantes et de système politiques reconnus, les Etats d’Europe ne laisseront pas leur place à de simples constructions théoriques dans l’imaginaire des citoyens européens du jour au lendemain. Cette transition longue devra s’accompagner de passages de flambeaux, de constructions de signes objectifs de reconnaissance et de la mise en lumière de ce qui nous est communs.
La culture européenne tire notamment sa richesse de son extraordinaire patrimoine, antidote aux sentiments de déracinement et de dépossessions que ressentent nombre de nos concitoyens en raison des mutations accélérées de nos sociétés et d’une mondialisation désincarnée. Les politiques nationales contribuent à la mise en valeur des lieux de patrimoine. Afin de les amplifier et de mettre en lumière la dimension européenne de certains d’entre eux, l’Europe s’est dotée en 2007 d’un label européen du patrimoine. L’Acropole, l’abbaye de Cluny, les maisons natales de Puccini, Rossini et Verdi ou les chantiers navals de Gdansk constituent les premiers sites reconnus comme étant aux fondements de notre identité commune en raison de leur contribution à la pensée philosophique ou religieuse, à la création ou aux valeurs européennes.
L’émergence d’un espace mental commun pourrait également se nourrir de la reconnaissance d’une spécificité européenne dans le monde : l’existence d’indépendants culturels. Maison d’édition spécialisée, théâtre de quartier, producteurs de musique indépendants ou simple café emblématique ayant résisté à la concentration du secteur et aux chaines prodiguant un cadre standardisé de Porto à Riga, ils contribuent par leur spécificité et leur indépendance mêmes à la diversité culturelle dont l’UNESCO a reconnu le caractère essentiel. Leur protection et la sauvegarde de leur existence, en prise aux logiques concurrentielles aveuglément niveleuses, devrait constituer un nouveau défi de la politique culturelle européenne.
Pour favoriser la visibilité de notre patrimoine et des indépendants culturels et leur échanges, il nous faut désormais innover, mettre en relation et créer des réseaux sans lesquels les initiatives isolées sont condamnées à l’obscurité. Les lieux de patrimoine sont une chance, leur histoire et la qualité de leur architecture sont des signes de reconnaissance, des objets de fierté. Ils s’inscrivent en outre dans des stratégies d’attractivité souvent mises en uvres par les territoires qui souhaitent mettre en avant la richesse de leur culture. Le patrimoine constitue le lieux tout indiqué pour accueillir des projets de promotion des trésors culturels de l’Europe
A Paris, une initiative a vu le jour dans ce sens. L’Hôtel de la Marine, laissé vacant par le départ de l’Etat-major de la Marine nationale en 2014, est promis à un nouvel avenir. Un appel à projet a ouvert la voie à l’émergence de propositions de mise en valeur d’un haut lieu du patrimoine national aujourd’hui fermé au public. Le projet que je porte propose de faire de ce bâtiment situé au cur de Paris une nouvelle Villa Médicis. Accueillant en résidence des artistes français et européens, elle serait une vitrine du Haut-artisanat et un soutien à la création artistique et artisanale. Propriété de l’Etat, le bâtiment serait intégralement rénové par un investisseur privé assurant la gestion et la programmation des différents espaces de production et d’exposition artistique, en accordant une place particulière et centrale aux indépendants culturels.
Persuadé qu’une véritable restauration d’un monument historique ne se limite pas à une approche purement architecturale mais consiste à restituer à un lieu l’énergie de ses fondateurs et à lui insuffler la vie, l’Hôtel de la Marine redeviendrait le manifeste des talents et de la création qu’il fut à l’origine. Il conserverait par ailleurs la mémoire de ses différentes affectations historique en comportant un espace vivant dédié au monde de la mer et à l’aventure maritime.
Si ce projet parvenait à vaincre les conservatismes et les frilosités, il pourrait devenir un relais dans un itinéraire européen de la culture que j’appelle de mes vux. Parallèle au programme Erasmus d’échanges entre universités européennes, dont la contribution à l’émergence d’une communauté européenne parmi les jeunes est incontestable, cet itinéraire regrouperait des résidences d’artistes et lieux de patrimoine contribuant à la création contemporaine et au rayonnement de notre culture. Il serait un élément de visibilité souhaitable pour l’action communautaire culturelle dont les citoyens peinent à voir les effets au-delà des Journées européennes du patrimoine organisées à l’échelon national. Il ferait vivre la devise « Unis dans la diversité » avec une dynamique de la fierté retrouvée de ses racines vivantes et créatrices.
19 mai 2011 à 09:06
Face à l’entreprise de démolition systématique menée par des campagnes médiatiques qui auront occulté les véritables enjeux de ce grand ptojet culturel autour de l’Hôtel de la Marine,voire introduit des contre-vérités dans l’opinion publique,on ne peut que souhaiter que la confiance et la persévérance de ceux qui le portent avec passion tracent,au fil du temps,au travers des décombres,leur chemin de vie vers un avenir au dynamisme constructif.