Lors des journées européennes du patrimoine, la foule visite avec passion les monuments français. Elle se les approprie avec fierté. Et lorsque les portes se referment, malgré un foisonnement d’initiatives tout au long de l’année et une fréquentation soutenue de nos lieux emblématiques, la question de nos monuments historiques semble également disparaître du champ des priorités stratégiques les plus urgentes.
Il faut donc à nouveau proclamer que la force d’un passé prestigieux n’est pas une assurance tous risques permettant de se reposer sur de puissants lauriers. C’est une exigence, une richesse et un défi de tous les jours. Une chance et non une charge, pour peu que l’on s’attache avec beaucoup d’énergie, d’intelligence et d’imagination à bâtir, cas par cas, une vraie stratégie de valorisation et de rayonnement.
En ces temps de crise économique, sociale et morale, nous n’avons tout simplement pas le droit de ne pas considérer comme un atout d’avenir prometteur ces trésors que constituent les monuments historiques publics et privés, et qu’incarnent avec passion tous ceux qui font des métiers d’art leur étendard et leur blason.
L’art de vivre à la Française ? Faire de l’excellence du patrimoine une réalité vivante !
Cela suppose un sursaut, une vision, une vraie volonté, qui vont bien au-delà des considérations purement financières. Certes, il faut de l’argent, public et privé, pour faire vivre et rayonner ces lieux magiques. Les restaurer, leur redonner leur énergie initiale. Les ouvrir, à tous les sens de ce beau mot. Mais, cela ne suffit pas.
Un vrai projet, fait d’audace et de respect, incarné par d’authentiques passionnés de l’histoire et de la création doit être imaginé pour chaque monument.
Se contenter d’admirer sans agir, se limiter à célébrer sans s’engager concrètement, sont des réflexes de nostalgie sympathique, mais très en deçà de nos responsabilités que nous devons tous ensemble assumer.
C’est d’un vrai plan d’avenir qu’il s’agit. L’Etat, les collectivités locales, les associations d’amis, les propriétaires privés, les mécènes sont l’arc-en-ciel des talents et des acteurs qu’il faut rassembler et mobiliser.
Leur union, leur concert, l’addition de leurs efforts sont tout à la fois un impératif politique et l’annonce d’une grande force économique apte à investir pour l’avenir en liaison avec tous les professionnels concernés.
Du village le plus emblématique au café le plus authentique, de la place la plus célèbre à la librairie la plus préservée, du paysage le plus intact au bistrot le plus typique ! Innombrables sont nos atouts qui symbolisent notre art de vivre.
Le patrimoine, levier de croissance, facteur de richesses et de développement, phare de l’attractivité! Autour de slogans qui doivent s’ancrer dans l’actualité !
1) Et si les « vielles pierres » étaient nos nouvelles armes pour réussir dans la mondialisation à éviter les engrenages de la délocalisation, de la standardisation et de la perte d’identité ?
2) Et si les métiers d’art redevenaient une vraie valeur d’avenir créatrice d’activités, d’emplois, de fiertés ? Les maîtres d’art sont des trésors nationaux vivants. Alors, plaçons-les au cur des monuments historiques au lieu de les reléguer dans les espaces où leur fragilité les contraint de travailler.
Que coûterait-il d’ « affecter » systématiquement à chaque monument historique d’Etat plusieurs artisans d’art pour qu’ils puissent y travailler et même y résider ? Cela constituerait en France et même en Europe un parcours emblématique, une sorte de Route des talents ! Nul doute que s’y associeraient nombreuses collectivités et propriétaires privés.
3) Et si un nouveau modèle économique était imaginé pour valoriser notre patrimoine en en faisant une chance pour de nombreuses activités menacées, et une perspective concrète pour promouvoir les talents, de notre pays.
Chaque pièce d’un château, chaque partie d’un monument peut, dans le respect de son identité, être déclencheur de chances nouvelles, d’évènements féconds, qui recréent l’énergie initiale de l’espace au moment où il a été conçu, en lui donnant de surcroît une force contemporaine.
4) Et si pour remercier les mécènes étrangers de la France, qui financent une grande partie de notre rayonnement dans le monde, nous prévoyions qu’un ou plusieurs appartements de certains châteaux leurs soient ouverts en guise de remerciement, pour résider lorsqu’ils viennent dans notre pays ? Ce serait un geste au symbole fort et aux suites concrètes substantielles…
5) Et si pour faire des journées européennes du patrimoine un événement mêlant la beauté de la pierre à la dynamique du spectacle vivant nous décidions d’organiser dans 27 chaînes de télévisions publiques de chacun des pays de l’Union Européenne une « Nuit de la culture européenne » en direct de sites exceptionnels ?
L’engouement populaire d’un tel événement mêlant fierté des racines et énergie de la création musicale, chorégraphique, plastique, théâtrale en ferait vite un rendez-vous mensuel très plébiscité !
6) Et si nous lancions un nouveau plan national de valorisation de notre patrimoine, permettant à chaque monument d’être fortement valorisé, authentiquement restauré et magnifiquement habité par d’audacieux projets ?
C’est une grande cause, fédératrice et productrice de très nombreuses retombées politiques, sociales et économiques. Ce n’est pas une dépense ; c’est un investissement ! L’Etat a récemment augmenté de 33% sa dotation annuelle, ce qui est une avancée considérable, car c’est un engagement dans la durée rappelé solennellement par le Président de la République. Mais reconnaissons que c’est totalement en deçà des enjeux si l’on veut véritablement donner au patrimoine français son rayonnement mondial.
7) Et si nous ouvrions davantage le soir les monuments ce qui permettrait d’accueillir tous ceux qui travaillent dans la journée ? Pourquoi d’ailleurs ne pas lancer de façon expérimentale des haltes-garderies pour que les jeunes couples puissent sortir et faire garder sur places leurs bébés ?
8) Et si chaque monument, public ou privé, était jumelé avec une classe de France, donnant une ouverture et une découverte à nos jeunes concitoyens, géographiquement ou mentalement très éloignés des splendeurs de notre – de leur – patrimoine ? Ce serait une vraie main tendue pour que s’estompe la frontière entre les curs historiques de nos villes et leurs banlieues, un choc des imaginaires et un croisement fécond des esprits.
9) Et si nous inventions les « mécènes du 3è type » que constitueraient les étudiants et les élèves de nos grandes écoles, créant dans chaque lieu un club d’initiatives pour parrainer, ouvrir, donner le goût de la découverte, inciter à la visite par l’organisation d’événements.
10) Et si l’Union Européenne s’engageait fortement dans le soutien à tous les monuments majeurs constitutifs de l’âme européenne, en contribuant à leur restauration, leur ouverture, leur valorisation, leur mise en réseau ? On peut même imaginer une sorte de « Google earth culturel et touristique du patrimoine européen » avec notre propre moteur de recherche et nos propres images ! Ce « guide du routard » de l’Europe serait à la pointe de la technologie et à l’avant-garde des nouvelles aspirations qualitatives et éthiques des touristes du monde, puisque l’on constate un retour – et c’est un progrès – au beau, au rare, au physique, au vrai, à l’authentique. Qu’il s’agisse d’un château, d’un café, d’une librairie indépendante, d’une abbaye, d’un musée, d’une place ou d’un site pour ne citer que quelques vecteurs de magie et de dépassement de soi.
Innombrables sont les potentialités offertes par notre patrimoine : de l’attractivité touristique à la création d’activités nouvelles, de la fierté de ses racines et de son histoire à l’effervescence d’événements forts de valorisation, autant d’atouts en nos mains. C’est le contraire d’une contemplation passive et satisfaite. C’est une prise de conscience exigeante des vrais enjeux, du capital que nous n’avons tout simplement pas le droit de négliger. Alors, mobilisons-nous pour que ce soit une grande cause nationale.
Il y va de la vocation de notre pays d’ouvrir le chemin de cette nouvelle stratégie de mise en valeur de notre patrimoine historique, sans attendre que de nombreux projets ambitieux et audacieux magnifiquement menés dans le monde nous fassent apparaître comme une « belle endormie ». Action ! Soyons les jardiniers passionnés de l’art de vivre à la Française !