Remise des insignes de Chevalier dans l’Ordre des Arts et des Lettres à Bertrand Rindoff-Petroff
Cher Bertrand Rindoff-Petroff,
Aujourd’hui, c’est vous qui êtes sur le podium, sur le devant de la scène,
dans la lumière, sous le feu des flashes de vos collègues et amis. C’est
vous qui êtes mis à l’honneur et je suis heureux de vous rendre hommage.
Sans vous, la vie parisienne ne serait pas ce qu’elle est. Vous en êtes un
témoin particulièrement attentif et un acteur aussi, par les liens d’amitié et
de complicité que vous avez su tisser et conserver au fil du temps. Vous
êtes unanimement respecté et craint, m’a-t-on dit, par vos collègues
photographes, qui savent d’emblée vous laisser la place, au premier rang,
car un événement ne peut pas commencer sans vous.
Cette place au premier rang, vous l’avez acquise, vous l’avez conquise, en
près de quarante années d’activité et je devrais dire d’hyperactivité
professionnelle et artistique. Photographe de l’actualité, de l’événement,
des personnalités, vous êtes aussi, selon moi, un véritable artiste, un
authentique artiste, et cela saute littéralement au yeux lorsque l’on feuillette
l’album de vos photographies, qui sont plus que des instantanés, une
véritable mémoire vivante et élégante de la vie culturelle mais aussi
sociale, et mondaine de notre pays, depuis ces années de la nouvelle
vague, ces années « yé-yé », ces années glorieuses où vous vous forgez
une grande proximité, non seulement avec les plus grand créateurs des
maisons de couture, notamment Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé, Pierre
Cardin, Jean-Louis Scherrer ou Hubert de Givenchy, mais aussi des
artistes qui sont devenus des amis, comme le Mime Marceau, dont vous
avez suivi les cours pendant un an, Line Renaud, Alain Delon, Jean-Paul
Belmondo, Jean-Claude Brialy, Roman Polanski, Charles Aznavour et tant
d’autres.
Votre art, c’est « l’art d’évoquer les minutes heureuses » selon l’expression
de Baudelaire, ces instants fugaces que vous savez ne pas figer, mais
mettre en mouvement, le mouvement de la vie, celui des pulsations du
temps, celui de votre regard.
Votre regard pétillant d’humour, de malice, mais aussi de gentillesse, de
liberté et de hardiesse, votre regard, ponctué de vos fameuses lunettes
perpétuellement posées sur votre front, qui signalent votre présence, en
éveil, en alerte, pour capter les meilleurs moments, les meilleurs regards
qui croisent le vôtre et celui de votre objectif.
Objectif que vous ne perdez jamais de vue, tant paraît s’appliquer à vous
cette citation de Vauvenargues : « Également propre à persuader par la
force de la raison et par les charmes de la séduction ; fertile et puissant en
moyens pour plier les faits et les esprits à ses fins… ».
Mais cela, sans jamais vous écarter d’une constante quête de la vérité et
de la beauté ; d’une certaine poésie aussi. Comme l’a joliment écrit
Apollinaire : « On peut être poète dans tous les domaines, il suffit que l’on
soit aventureux et que l’on aille à la découverte ».
Votre aventure a commencé tôt, très tôt, dès votre prime adolescence :
c’est la rencontre entre votre grande passion, le cinéma, et ce qui va
devenir votre métier, la photographie. Il est particulièrement émouvant de
contempler les clichés carrés que vous preniez à l’époque, avec votre petit
boîtier, qui vous permettait d’approcher les artistes que déjà, vous aimiez et
vous admiriez, et qui déjà, sans doute, ressentaient cette profonde
sympathie, cette réelle empathie, cette écoute, cette disponibilité, qui sont
les vôtres, au-delà du tourbillon des événements ; cette aisance naturelle
aussi, cette confiance et ce sourire, qui sont plus forts que le culot, et qui
vous permettent très tôt, par exemple, de vous accrocher aux bras de
Georges Pompidou, alors Premier Ministre, pour entrer avec lui au Gala de
l’Union des artistes, et réaliser vos premiers rêves. Des rêves que nous
n’avez cessé de faire partager aux autres, depuis vos débuts professionnels
avec Daniel Angeli, à qui vous êtes resté profondément fidèle, jusqu’à
aujourd’hui, après un passage à l’agence Team International.
Comme vous êtes resté fidèle au Festival de Cannes, au Journal du
Dimanche, à Match, à Vogue, dont vous avez été pendant vingt-cinq ans
«l’oeil », mais aussi aux grandes maisons du luxe français, notamment
Louis-Vuitton-Moët-Hennessy, L’Oréal, ainsi que les plus grands majors du
cinéma américain.
Fidélité aussi à Georges Cravenne qui, après le bras de Georges
Pompidou, vous a ouvert bien des portes, et que vous désignez comme
votre mentor. Fidélité à celui que vous appelez votre parrain, Jean-Claude
Brialy, à votre marraine, Marie-Hélène de Rotschild, à Françoise Dumas, à
Dominique Segall, qui ont aussi contribué à vous rendre indispensable.
Fidélité à vos convictions, à votre réelle générosité humanistes. Vous ne
mesurez pas votre temps, ni votre coeur, ni votre énergie pour participer aux
grandes causes qui vous sont chères, et notamment aux soirées caritatives
en faveur de la recherche contre le sida, ou aux actions de Care
International, de la Fondation Hôpitaux de Paris- Hôpitaux de France, de la
Fondation Claude Pompidou.
Cette fidélité à des valeurs fortes, cette solidité en amitié, cette exigence
constante, cette ténacité aussi, qui vous caractérisent, puisent sans doute
très profondément leurs racines, dans le récit de votre vie, et dans l’histoire
de votre famille, de votre père en particulier, dont je veux, avant de
prononcer la formule rituelle qui doit clore cet hommage, évoquer la
mémoire. Constantin Rindoff, docteur en droit de l’université de Paris,
fervent avocat des « États-Unis des Balkans » dans l’entre-deux guerres et
Président de l’Association des réfugiés politiques bulgares en France, aurait
sans doute été heureux de voir un jour le pays où il est né et que vos aïeux
ont servi rejoindre l’Union Européenne, lui qui n’a cessé de lutter pour le bel
idéal de la liberté qu’il est venu chercher sur le sol de France, un idéal qui
ne cesse de vous inspirer aujourd’hui.
Je suis particulièrement heureux de vous distinguer ici, au milieu de vos
amis et de votre famille.
Cher Bertrand Rindoff Petroff, au nom de la République, nous vous faisons
Chevalier dans l’Ordre des Arts et des Lettres.