Cérémonie d'ouverture du congrès de l'association des archéologues à Lyon – Discours de Renaud Donnedieu de Vabres prononcé par Michel Clément, directeur de la Dapa (Direction de l'architecture et du patrimoine)
8 septembre 2004Monsieur le Président du Conseil général,
Monsieur le Président de l'association européenne des Archéologues,
Mesdames, Messieurs, Chers Amis,
Je me réjouis du choix pour vos travaux de la ville de Lyon, dont l'admirable situation, aux
confluents du Rhône et de la Saône, à mi distance du nord et du midi, explique le destin
millénaire de l'ancienne capitale des trois Gaules.
Aujourd'hui, cette capitale régionale, au coeur de l'Europe, garde un rôle éminent, digne de
son histoire. Une histoire gravée dans l'urbanisme d'une ville, d'un département et d'une
région pionniers dans le domaine de l'archéologie classique, mais aussi dans le domaine de
l'archéologie préventive.
Ici, un Service régional de l'Etat particulièrement actif, un Service municipal déjà ancien et,
bien sûr, des musées départementaux prestigieux font référence. Je pense aux magnifiques
Musées de la Civilisation gallo-romaine à Fourvière et de Saint-Romain-en-Gal, sur les bords
du Rhône.
En présentant ce matin, au ministère de la culture et de la communication, les journées
européennes du patrimoine des 18 et 19 septembre, je me félicitais de l'attachement et
même de la véritable passion vouée par les Français et par les Européens à leur patrimoine.
Dans l'ensemble de nos pays, nos concitoyens sont fiers de leur patrimoine, où ils trouvent
ou retrouvent leur identité ou leurs racines.
L'archéologie était autrefois décrite comme une " science auxiliaire " de l'Histoire. A la
lumière de ce phénomène de société, elle est évidemment bien plus que cela. Elle participe
de cette quête des racines, de cette recherche d'identités souvent multiples, qui, à travers
des monuments prestigieux mais aussi des traces matérielles de la vie quotidienne,
accompagne notre présent et nous projette vers l'avenir.
C'est vous dire ma conviction que l'archéologie constitue un élément fondateur de la politique
du patrimoine et mérite à ce titre, une préoccupation et une attention particulières.
Livrant les fragments des civilisations et des époques qui nous ont précédé, elle exige de
nous des précautions particulières de méthodes et de moyens dont vous, les membres de la
communauté scientifique, êtes les garants.
L'expression populaire parle de " trésors cachés " . Elle révèle ainsi le mystère et la valeur
des origines et des avatars des activités humaines que l'archéologie conserve et transmet.
Or la politique de développement et d'aménagement y voit souvent une simple contrainte,
imprévisible et incontrôlable. Vous savez que mon engagement en faveur de l'archéologie,
en particulier l'archéologie préventive, a été total et que j'ai cherché à assurer un système
pérenne qui préserve les intérêts de tous, archéologues comme aménageurs.
Telle est donc avec ses paradoxes, la discipline qui nous réunit.
Jusqu'au milieu du XXe siècle, elle était essentiellement monumentale, tournée vers l'histoire
de l'art et la protection du patrimoine. De son côté, s'affirmant peu à peu dans ses
connaissances comme ses méthodes, l'archéologie préhistorique est restée en lien étroit
avec les conceptions de l'évolution générale de la Terre et des hommes.
Ce n'est qu'en 1941 que le législateur est intervenu pour donner à l'archéologie un cadre
législatif propre, et c'est hier, dans la deuxième moitié du XXe siècle, qu'en France comme
ailleurs en Europe, les populations et les pouvoirs publics ont véritablement pris conscience
de l'importance du patrimoine enfoui. On a assisté alors à une forte augmentation du nombre
des interventions archéologiques : de 720 en 1964 à 3600 en 1996 ! Parallèlement, les
professionnels en archéologie sont passés de quelques dizaines en 1970 à plus de 3000
aujourd'hui.
A la fin des années 1990, le système a atteint ses limites.
Chacun s'est accordé à reconnaître qu'il fallait clarifier la situation. Il fallait donc une loi qui
prenne en compte le contexte européen, la Convention de Malte. Il fallait aussi moderniser
les méthodes, professionnaliser les pratiques, stabiliser le financement des études et des
interventions. Mais aussi, prendre en considération les besoins souvent contradictoires des
aménageurs : respect des délais et de budgets compatibles avec les projets
d'investissement.
C'est ainsi que s'est ouvert en France depuis quelques années, un chantier de réformes.
La loi du 17 janvier 2001 a affirmé la responsabilité particulière de l'Etat et la reconnaissance
de l'unicité de la recherche en archéologie.
Elle a créé un organisme public spécifique, de recherche et opérationnel : l'Institut national
de recherches archéologiques préventives (INRAP). Elle a mis en place un système de
financement proportionnel aux dégâts potentiels, et donc à l'intervention archéologique
nécessaires aux opérations projetées.
Mais, très rapidement, des difficultés de mise en oeuvre liées à l' inadaptation du mode de
calcul de la redevance et au déséquilibre entre les financements ruraux et urbains, d'autant
que la participation des collectivités territoriales ayant des services d'archéologie n'avait pas
été prise en compte ont conduit le gouvernement à présenter une loi rectificative.
Votée le 1er août 2003, elle a confirmé la responsabilité de l'Etat et le rôle de l'INRAP
comme principal opérateur.
La principale modification a porté sur le financement : au lieu d'être lié uniquement aux
aménagements sur lesquels les services de l'Etat établissent des prescriptions d'opération
archéologique, celui-ci est calculé dorénavant sur l'ensemble des projets d'aménagements,
qu'ils comportent des vestiges ou non.
Cet acquis est essentiel, puisqu'il permet de mutualiser des ressources dévolues à la
recherche archéologique.
Cette loi permet également de développer le rôle des collectivités territoriales comme
opérateurs d'archéologie préventive.
Mais cette nouvelle intervention législative n'avait pas vocation à régler tous les problèmes.
Des difficultés d'évaluation dans le calcul des redevances ont provoqué une nouvelle
modification : la loi du 9 août 2004 a fait évoluer l'assiette de cette redevance. Au lieu de
considérer comme base de calcul du financement la totalité de la surface du terrain sur
lequel est réalisé l'aménagement, on prend désormais en compte, pour les travaux soumis
au Code de l'urbanisme, les surfaces de plancher effectivement construites. Ainsi, la
contrainte fiscale est plus proche du volume d'investissement projeté.
Nous sommes en pleine période de mise en place de ces modifications qui ont pour objet de
suivre au plus près les évolutions des pratiques de terrain, celles des archéologues ou celles
des aménageurs et des acteurs sociaux.
C'est dans cette perspective que je souhaite que vos débats, en confrontant les politiques
archéologiques de vos différents pays, nous indiquent des voies à étudier.
Notre objectif essentiel est de garantir les capacités d'une politique forte de la France en
matière de recherche et de conservation, et d'une réelle information culturelle vers le plus
large public.
Je suis persuadé de la valeur des principes inscrits dans notre législation :
– financement public et mutualisé de la contrainte patrimoniale ;
– garantie de ressources affectées ;
– responsabilité de l'Etat dans l'expertise des programmes comme dans la recherche
scientifique et la méthodologie ;
– collaboration enfin avec tous les acteurs publics et privés : collectivités locales du vaste
mouvement de décentralisation culturelle, professionnels, chercheurs, mais aussi acteurs de
l'aménagement du territoire et de la politique du logement.
Ces principes doivent être appréciés au regard des forces et des faiblesses de l'archéologie
préventive en France.
La dimension importante des opérations d'aménagement du territoire constitue
indéniablement un atout : TGV, Autoroutes, aéroports, ZAC, tous ces chantiers ont obligé à
un renouvellement des méthodes et des connaissances, pour toutes les périodes, et
spécialement la protohistoire et l'époque médiévale. Les données environnementales pour
l'étude et l'interprétation des sites et les modalités d'occupation du sol sont de mieux en
mieux prises en compte.
La professionnalisation de l'archéologie a permis une meilleure coopération entre les
opérateurs de terrain et les chercheurs, souvent regroupés au sein d'unités mixtes de
recherche.
La tendance est aujourd'hui, et je m'en félicite, à renforcer cette coopération.
Quelles que soient les forces de notre archéologie, il ne faut pas s'en dissimuler les
faiblesses, ni les combats qui restent à mener.
Tout d'abord, la difficulté à archiver la production importante de données et à moderniser la
collaboration entre les acteurs de l'archéologie : services de l'Etat, collectivités territoriales,
experts.
Ensuite, la production éditoriale : Quels types de sites publier ? Selon quelles modalités
établir les monographies des grands sites ? Quelles synthèses sur les régions ou les thèmes
transversaux, sur les périodes ? Sous quelles formes publier (papier et électronique) et
comment transmettre au mieux, vite, loin et longtemps, les données comme les méthodes ?
Enfin, comment choisir les sites nécessitant une mise en valeur, quelles techniques de
conservation et quels principes de restitution y appliquer ? Quels liens à établir avec leur
contexte social et culturel ? Sur toutes ces questions il nous faut mobiliser les savoir- faire au
niveau européen, ce dont vous allez débattre ici.
C'est dire combien j'attends de vos travaux qu'ils nous permettent de répondre à toutes ces
questions, d'éclairer les difficultés de votre profession, face aux défis qui se posent à elle et à
l'administration. Une profession encore trop méconnue, mais une profession qui fait naître
tant de vocations !
Vous pouvez compter sur moi. Car notre objectif commun est le progrès de la connaissance.
Un objectif qui suppose de donner la priorité aux critères scientifiques et aux objectifs de
diffusion des résultats de la recherche, selon les règles qui sont celles de votre communauté.
Je tenais à vous le dire, au moment où vous débutez vos travaux.
Je vous remercie.