Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les Députés,
Notre rendez-vous d’aujourd’hui, nous le savons tous, est très attendu.
Oui, je
n’hésite pas à le dire : ce débat est un débat historique. Lorsque nous l’aurons
mené à son terme, une dynamique positive, et je l’espère, une vraie
réconciliation, en faveur de l’accès à la connaissance, de la création, et du
rayonnement des oeuvres sera pour longtemps lancée. Internet est un espace
de liberté : ce texte préserve cette liberté et il rend possible une offre nouvelle
de diffusion des oeuvres artistiques et des idées. Ce texte garantit autant les
droits des consommateurs et des internautes que les droits des créateurs. Il
tourne le dos aussi bien au manichéisme, à l’obscurantisme qu’à la démagogie
facile. Parce qu’entre la jungle, et la dérégulation ultra-libérale, et la geôle,
comme seul vecteur de prise de conscience et de responsabilité, entre
l’anarchie et la tyrannie, entre l’univers virtuel sans entraves et les contraintes
des procédures, nous aurons ouvert une troisième voie, observée et attendue
comme telle par nos partenaires de l’Union européenne.
Oui, il y a un espace intelligent et humaniste entre l’anarchie et la tyrannie,
entre l’univers virtuel sans entraves et les contraintes et les procédures.
C’est
le cas lorsque la liberté de soi va de pair avec le respect de l’autre. C’est le cas
de l’espace que je vous invite à ouvrir avec ce texte.
Trois valeurs inspirent ce texte. La première d’entre elles est l’accès du plus
grand nombre à la culture. Dans un monde qui devient numérique, le
consommateur doit pouvoir accéder librement à une offre riche et diversifiée, il
doit pouvoir continuer à faire des copies à titre privé, et l’existence de la copie
privée sera garantie par ce texte, ce sera la mission d’une nouvelle autorité
administrative indépendante, le Collège des médiateurs. Il ne s’agit pas de
verrouiller, ni de cadenasser, mais de créer les conditions pour que le
consommateur puisse profiter de sa liberté sur Internet pour accéder à une
offre culturelle riche et diversifiée.
Car la deuxième valeur fondamentale, c’est la diversité culturelle. Une valeur
de tous les temps, qui a franchi un nouveau cap en entrant dans le droit
international le 20 octobre dernier, avec l’adoption, à la quasi-unanimité de la
communauté internationale, de la convention de l’Unesco. Mais qui suppose
d’être concrètement garantie pour n’être pas un leurre.
Troisièmement le droit d’auteur est un droit fondé sur une valeur qui demeure
plus que jamais actuelle dans une société qui doit affronter les défis de
l’avenir : celle de la création. La création qui s’enrichit et se nourrit sans cesse
de nouvelles oeuvres, qui rencontre de nouveaux publics, grâce à la
démocratisation de la culture qui est sans doute l’un des plus grands acquis du
dernier demi-siècle, grâce à l’essor des industries culturelles.
L’avènement de
la société de l’information et de l’ère numérique a accentué cette évolution, qui
est d’autant plus positive, que la vitalité et la liberté des créations de l’esprit
sont protégées, dans toute leur diversité.
Le projet de loi que je soumets aujourd’hui au nom du gouvernement à la
Représentation nationale, relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la
société de l’information, est issu d’un long cheminement. Ce texte s’enracine
dans une longue histoire qui, de l’âge classique jusqu’à la Révolution, est une
véritable conquête. La conquête progressive, à travers les siècles, d’un droit qui
est d’abord une liberté, l’affranchissement d’une tutelle tantôt bienveillante,
tantôt pesante, qui plaçait les auteurs à la merci des puissants, auxquels ils
devaient attacher leur subsistance et l’exercice de leurs talents, s’ils étaient
eux-mêmes dépourvus de fortune. Ainsi Scarron implorait le roi :
« De toutes vos vertus, si Votre Majesté
M’en voulait donner une
Celle que je requiers, Sire, c’est Charité,
Qui vous est si commune ;
Elle croîtrait en vous en s’étendant sur moi,
Car telle est sa nature.
Faîtes en donc l’épreuve, ô magnanime roi,
Sur votre créature… »
Et La Fontaine, à soixante-treize ans, dédie ainsi au jeune Duc de Bourgogne,
douze ans, le dernier livre de ses fables : « Il faut que je me contente de
travailler sous vos ordres. L’envie de vous plaire me tiendra lieu d’une
imagination que les ans ont affaiblie. »
C’est une véritable émancipation, née de l’esprit des Lumières, du combat de
Beaumarchais, de la fougue du romantisme, faite de reculs et d’avancées
successives. C’est la faillite de Balzac, narrée dans Les Illusions perdues, face
à l’introduction des nouvelles technologies de l’époque dans l’imprimerie, qui
entraînera l’avènement d’une nouvelle économie du livre et de la presse au
XIXe siècle. C’est l’énergie de Hugo, dénonçant devant un congrès qui ouvre la
voie à la reconnaissance internationale du droit d’auteur ce « sophisme
singulier, qui serait puéril s'il n'était perfide : la pensée appartient à tous, donc
elle ne peut être propriété, donc la propriété littéraire n'existe pas. »
Oui, les
soubassements de l’édifice législatif, dont le rapport de votre commission des
lois décrit si clairement la genèse, sont profonds.
Pourquoi y a-t-il urgence à légiférer ? Vous rappelez dans votre excellent
rapport, Monsieur le Rapporteur, que l’urgence est d’abord juridique. En effet,
ce texte a pour origine une directive européenne, dont vous rappelez la longue
élaboration, entre 1997 et 2001, et qui aurait dû être transposée avant le 22
décembre 2002. La France n’est pas la seule à ne pas l’avoir fait, mais il était
grand temps qu’elle le fasse. Il ne vous a pas échappé que le projet de loi a été
déposé sur le bureau de votre Assemblée par mon prédécesseur. En cette
matière comme en d’autres, je me suis attaché à tenir les engagements de la
France et surtout à appliquer une méthode : la concertation et le dialogue. Ce
texte a été soumis à la concertation au sein du Conseil supérieur de la propriété
littéraire et artistique, qui l’a longuement et mûrement examiné. J’ai écouté et
entendu les professionnels, qui souhaitent saisir les chances, mais redoutent
les menaces, liées aux nouvelles technologies numériques, et veulent en
conséquence faire respecter les règles nécessaires au code de la route sur les
nouvelles autoroutes de l’accès aux oeuvres, aux savoirs, aux produits culturels.
J’ai écouté et entendu les auteurs attachés au respect de leurs droits.
J’ai
écouté et entendu nos concitoyens de toutes les générations, internautes,
consommateurs et amateurs des formidables libertés et des découvertes
nouvelles offertes par l’Internet. Mais liberté ne veut pas dire gratuité.
C’est
pourquoi l’urgence de ce texte est aussi culturelle et politique, et il était
nécessaire que la Représentation nationale en soit saisie.
Dès mon arrivée rue de Valois, j’ai présenté, au Conseil des ministres du 19
mai 2004, un plan d’action, avec trois lignes directrices principales.
Tout d’abord, développer une approche globale pour répondre à ce défi, parce
qu’il n’existe malheureusement pas de solution miracle et unique.
Ensuite, créer un équilibre, notamment entre le développement d’un maximum
de nouvelles offres légales attractives pour développer l’accès à la culture, et la
lutte contre la contrefaçon numérique.
Enfin, ouvrir le dialogue et engager la concertation, décloisonner le monde de la
culture et l’univers des nouvelles technologies, les créateurs, les industriels et
les consommateurs.
Après le vote de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, il était
urgent de renouer les fils du dialogue, de sortir de la caricature, du cliché, de
l’anathème, de l’excommunication. J’ai tenu à engager aussitôt une
concertation entre les industries culturelles et les fournisseurs d’accès à
Internet, qui ont été réunis le 15 juillet 2004.
Ce dialogue a abouti à la signature d’une charte « musique et Internet » le 28
juillet 2004 à l’Olympia, pour sensibiliser les internautes, notamment les jeunes,
mettre en place des messages de prévention et développer une offre légale et
attractive de musique en ligne.
Parce que l’éducation joue évidemment un rôle primordial, le gouvernement a
tenu à sensibiliser en particulier les collégiens à la « civilité de l’Internet », et
confié au Forum des droits sur l’Internet la réalisation d’un guide pédagogique
sur le téléchargement.
François Loos et moi-même allons lancer au mois de janvier prochain une
campagne de prévention, afin de sensibiliser les citoyens aux dommages liés à
la contrefaçon numérique.
Les fournisseurs d’accès à Internet ont, depuis la signature de cette charte, et
pour répondre également à la demande faite par votre Assemblée lors du vote
de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, largement moralisé leur
publicité et développé la sensibilisation de leurs abonnés, avec l’appui de la
filière musicale, qui a préparé plusieurs vidéos de sensibilisation.
En ce qui concerne l’offre légale, les producteurs de disque se sont engagés
dans une vigoureuse action de numérisation de leurs catalogues. Le
gouvernement a mis en place un baromètre de l’offre musicale en ligne, au sein
de l’observatoire de la musique, qui publie régulièrement les chiffres de la
disponibilité des titres de musique sur les plates-formes en ligne. Ce baromètre
a ainsi montré que l’offre « française », y compris les catalogues internationaux
habituellement distribués en France, était passée de 300 000 titres fin 2004, à
plus de 700 000 titres en juin 2005.
Une campagne de promotion du téléchargement légal a été lancée avec le
concours de 14 artistes en janvier 2005, avec le soutien du ministère, pour dire
que la musique est disponible sur des sites et des portails qui respectent les
droits des créateurs et des producteurs.
Le gouvernement a, dans le cadre des orientations de la charte, confié à
Antoine Brugidou et Gilles Kahn une mission d’expertise des technologies de
filtrage, afin d’aboutir à une offre volontaire d’outils de protection contre la
contrefaçon, proposée aux abonnés à Internet. Leur rapport, remis le 10 mars,
recommande d’expérimenter des outils de protection sur le poste de l’abonné,
ainsi que des outils d’observation. Les partenaires travaillent en ce sens.
Parallèlement à ce dialogue entre les professionnels de la musique et de
l’Internet, j’ai moi-même engagé le dialogue entre les professionnels du cinéma,
de la télévision et de l’Internet. La concertation que j’ai menée a abouti cet après-midi à la signature d’un accord sur le cinéma à la demande.
Cet accord
est capital car il permettra à l’offre légale en matière de cinéma de se
développer, sans déstabiliser la filière cinématographique.
Ce dialogue avait aussi pour objectif de proposer une alternative aux poursuites
judiciaires, et a débouché sur une proposition d’architecture pour une réponse
graduée, dont vous soulignez très justement la nécessité dans votre rapport,
Monsieur le Rapporteur : l’idée est de commencer par envoyer des messages
d’avertissement, avant de prononcer une sanction adaptée.
Enfin, j’ai souhaité également que s’engage un dialogue entre les titulaires de
droits et le ministère de l’éducation nationale, afin d’autoriser certains usages
pédagogiques des oeuvres protégées. J’ai ainsi signé, dès le 14 janvier 2005,
une déclaration commune avec le ministre de l’éducation nationale. Cette
déclaration a permis les négociations qui sont en train d’aboutir entre
l’Education Nationale et les ayants droit de la musique, du livre, de la presse
écrite, des arts plastiques et de l’audiovisuel, afin de permettre un accès à la
connaissance, y compris par des modes numériques, sans léser excessivement
les détenteurs de droits.
En ce qui concerne les bibliothèques, une mission de concertation entre les
bibliothécaires et les éditeurs a été confiée à François Stasse, qui a remis son
rapport en juin dernier, formulant plusieurs propositions dont certaines très
innovantes. Sur ces bases, le ministère a engagé une concertation qui doit se
poursuivre.
L’ensemble de ces actions poursuit un seul but : développer le maximum de
nouvelles offres et de nouveaux usages, dans un cadre respectueux des droits
des créateurs. Il s’agit bien ici de réhabiliter la démarche contractuelle, et de
faire du droit d’auteur un droit qui autorise, qui permet, qui ouvre des
possibilités nouvelles, plus qu’il n’interdit. Néanmoins, il est nécessaire de
mettre en place aujourd’hui un cadre juridique propice à l’émergence de ces
nouvelles offres, et d’orienter vers elles les consommateurs. C’est l’objet
principal de ce projet de loi.
Il ne faut pas envisager le droit d’auteur seulement sous son angle technique,
celui d’un cadre juridique complexe, du code de la propriété intellectuelle et
d’une jurisprudence importante. Il s’agit d’une réglementation qui régit et
accompagne aujourd’hui notre vie quotidienne, la vie de tous ceux qui lisent,
surfent sur Internet, écoutent la radio, regardent la télévision, et goûtent chaque
jour aux produits de la consommation culturelle. Nombreux sont nos
concitoyens qui s’interrogent aujourd’hui, je le sais, sur ce qu’ils ont le droit de
faire, nombreux sont ceux qui succombent aux sirènes qui leur promettent un
accès illimité à la culture gratuite. Notre débat aura donc une grande valeur
pédagogique, il tâchera de faire justice de la démagogie, du leurre de la gratuité
et des fausses bonnes idées, de déjouer les craintes infondées et de construire
des réponses adaptées à l’évolution rapide des techniques. Car l’urgence est
aussi technologique.
Et cette accélération doit continuer à permettre aux
créateurs de vivre de leur propre travail. Chacun peut comprendre que le travail
des créateurs doit être rémunéré et ne peut pas être durablement gratuit, et
qu’il est juste que ceux qui bénéficient de ce travail le rémunèrent. La gratuité
totale de la culture sur Internet est un leurre, parce que la rémunération des
créateurs est non seulement légitime, mais aussi nécessaire pour préserver le
renouvellement de la création et la diversité culturelle. Ne pas rémunérer la
création ou la rémunérer forfaitairement c’est l’assécher, c’est favoriser la
concentration, en décourageant la prise de risque.
Il est en effet un leurre : celui du sentiment de l’accessibilité infinie au marché
mondial. C’est un rêve. Qu’on ne se méprenne pas ! Nul doute qu’Internet peut
être une chance formidable, en particulier pour les jeunes talents.
Encore faut-il
ne pas y être noyé mais repéré, détecté, reconnu. Le risque de concentration autour de quelques artistes reconnus et de quelques oeuvres reste réel et peut
même s’amplifier. Une juste distinction doit s’opérer entre la promotion et la
découverte librement consenties des talents et le pillage subi de leurs oeuvres.
Qu’on ne s’y trompe pas d’ailleurs. Internet ne détournera pas le public de la
magie du spectacle vivant, du livre, du cinéma en salle. Il peut, il doit mieux le
faire connaître à tous les publics et, en particulier, aux plus jeunes de nos
concitoyens. Cela passe aussi à l’évidence par l’amplification des actions
d’éducation à l’image.
La perspective d’une diffusion immédiatement mondiale crée parfois de faux
espoirs, voire des illusions dangereuses. Le rêve pour un jeune artiste est
évidemment la rencontre avec le public, avec son public.
L’urgence est donc aussi économique. C’est le modèle économique de la
création qui est en jeu. C’est la prise de risque et l’investissement, tant financier
que personnel, sans lequel il n’y pas de création, c’est-à-dire pas de diversité
culturelle et pas d’emplois dans ce secteur qui est un vivier d’activités.
L’urgence est donc aussi sociale.
Pour répondre à ces urgences, le texte que je vous présente aujourd’hui est un
texte d’équilibre. La propriété littéraire et artistique ne couvre pas les idées,
mais leur expression, elle n’a qu’une durée limitée dans le temps et peut faire
l’objet d’exceptions, notamment pour l’usage privé qui reste garanti.
Car la révolution numérique ouvre des perspectives extraordinaires de
développement de nouvelles pratiques, de nouveaux chemins d’accès à la
culture. L’innovation dans ce domaine est permanente et les nouvelles offres
foisonnent. Je pense à la télévision numérique terrestre, entrée dans un million
de foyers, au câble numérique, à l’ADSL (Ligne d’abonné numérique à débit
asymétrique), aux nouveaux services audiovisuels, aux premières
expérimentations de vidéo à la demande.
Je pense aussi à l’accélération, voulue et mise en oeuvre par le gouvernement,
de la couverture de l’Internet à haut débit. Il est clair que le développement de
la mobilité, dans tous les domaines, crée des chances nouvelles d’accès à la
culture pour tous, bien au-delà des « usines de rêve » qu’imaginait Malraux
lorsqu’il créa le ministère de la culture.
Je pense enfin au développement de nouvelles offres de téléchargement de
musique, qui ont explosé à partir de l’été 2004. Ce sont ainsi plus d’une
vingtaine de plates-formes légales qui sont désormais accessibles, offrant au
public un catalogue allant de 700 000 à plus d’un million et demi de titres, dans
des conditions attractives, puisque le prix d’un titre est fixé à 0,99 euro contre
4,1 euros en moyenne pour un « single » deux titres, et à 9,99 euros contre
13,6 en moyenne pour un album. Ces offres rencontrent un véritable succès,
puisque le nombre de téléchargements a augmenté de 260%, entre le premier
semestre 2004 et 2005, sur les quatre principaux marchés mondiaux.
Des offres innovantes se développent, de nouveaux modèles économiques se
créent. Ces offres nouvelles ne cessent de s’enrichir et de se diversifier.
De
nouvelles plateformes pour le cinéma et l’audiovisuel se mettent actuellement
en place. Sur ces sujets je veux récuser toute idée de forfaitisation de la
rémunération des créateurs. Il s’agit, vous l’aurez compris, je pense, de la
licence légale. C’est une fausse bonne idée. Elle consiste pour le
consommateur à renchérir, quelle que soit sa consommation effective, le coût
de son abonnement. Elle appauvrit le créateur à son corps défendant, en le
rémunérant sans tenir compte de l’exploitation et du succès de son oeuvre.
Si certains distributeurs veulent créer des offres forfaitaires, c’est à eux
d’assumer les risques de cette forfaitisation et en aucun cas aux créateurs, comme vous en avez d’ailleurs et justement décidé en 2001, à propos des
formules d’accès au cinéma permettant des entrées multiples.
J’ai souhaité avec mon collègue chargé du travail que s’engage un dialogue
entre les artistes interprètes et les éditeurs de phonogrammes, afin que la
rémunération des oeuvres et de toutes leurs utilisations puissent être garanties
par un accord collectif.
L’émergence des nouvelles offres légales, dans un contexte régulé, est au
coeur de notre projet de loi.
Ce texte a pour objet d’apporter des réponses à ce paradoxe : jamais l’accès à
la culture n’aura été aussi facile et aussi large ; jamais la création n’aura été
aussi menacée. C’est-à-dire, non seulement nos capacités de rêver et
d’inventer des espaces imaginaires en interrogeant le réel, mais aussi nos
emplois, notre rayonnement, le message que nous adressons au monde, notre
attitude collective face à l’avenir.
La grande différence entre l’univers analogique et l’univers numérique, c’est
qu’il est possible de fabriquer un très grand nombre d’ « originaux ». Il fallait
trouver les réponses adéquates, permettant de préserver l’exception pour copie
privée, sans alimenter pour autant la contrefaçon, qui n’est rien d’autre, tout
simplement, que du vol.
L’efficacité des nouveaux systèmes d’échanges de fichiers est formidable.
Quand ils sont les vecteurs de la contrefaçon, elle est redoutable.
Utilisant
généralement les technologies « pair-à-pair », elles permettent d’accéder à de
nombreuses oeuvres, dans une qualité souvent identique à l’original.
L’illusion
de la gratuité conduit désormais une partie des consommateurs à considérer
que toute offre payante est trop chère, et oblige les industries culturelles à
s’engager dans une spirale de baisse des prix, qui leur permet de limiter la
baisse des ventes en volume, au prix de la baisse de leur chiffre d’affaires,
c’est-à-dire, in fine, des ressources dont elles disposent pour investir dans la
création et les nouveaux talents. Un cercle vicieux pourrait s’engager, ce
manque de création nouvelle, risquant d’entraîner une désaffection du public.
Il s’agit de créer les conditions économiques permettant au marché de
déterminer un prix attractif pour le consommateur et suffisant pour le créateur.
Tel est le rôle régulateur du législateur.
Oui, il était urgent d’agir. Et de légiférer.
Ce projet poursuit quatre objectifs principaux. Il mettra d’abord en place un
certain nombre d’exceptions nouvelles. Il régulera et protègera les mesures
techniques de protection, qui permettent aux titulaires de droits de mettre en
ligne en toute confiance leurs oeuvres dans le cadre de nouvelles offres.
Il
apportera, grâce aux amendements que le gouvernement a déposés, de
nouveaux dispositifs, permettant d’inciter les consommateurs et les éditeurs de
logiciels « pair-à-pair » à rentrer dans la légalité. Enfin, il réhabilite le statut
d’auteur des agents publics et apporte une amélioration au contrôle des statuts
des sociétés de perception et de répartition des droits par le ministère de la
culture et de la communication.
La directive sur le droit d’auteur et les droits voisins dans la société de
l’information avait d’abord pour objet de créer une seule exception obligatoire,
visant à permettre les copies techniques nécessaires à la transmission des
oeuvres sur les réseaux de communication. Elle n’avait pas pour objet
d’harmoniser toutes les exceptions en Europe, puisque celles-ci n’étaient que
facultatives, mais d’harmoniser les contours des exceptions qui existaient déjà
dans les différents pays.
Le gouvernement a souhaité maintenir l’équilibre existant en droit français, sans
créer d’exceptions supplémentaires. Il a cependant voulu une mesure en faveur
des personnes handicapées, dont l’intégration et l’égalité des droits et des
chances sont une priorité du gouvernement et l’un des trois grands chantiers du
quinquennat. Une exception a ainsi été prévue, pour permettre à des
organismes agréés, comme des associations ou des bibliothèques, de produire
des transcriptions dans des formats adaptés comme le braille, ou même de
transmettre sur les réseaux des oeuvres numérisées, pour les rendre
accessibles sur des terminaux électroniques adaptés.
Le gouvernement a également souhaité moderniser le dépôt légal. Le dépôt
légal, c’est la conservation de notre mémoire collective, c’est un témoignage
pour les générations futures, mais c’est aussi une ressource extraordinaire pour
nos chercheurs et nos historiens.
Le projet de loi crée ainsi le dépôt légal de la Toile. Internet devient en effet un
espace majeur d’information et d’échange, mais ce patrimoine est mouvant et
éphémère. Le projet met donc en place une nouvelle forme de dépôt légal, qui
se fera sur Internet par la collecte des sites. De nombreuses expérimentations
ont déjà été menées par l’Institut national de l’Audiovisuel et la Bibliothèque
nationale de France, qui sont désormais prêts.
Ce projet modernise également le dépôt légal pour permettre la numérisation
des oeuvres déposées et leur consultation sur un réseau local. Cela permettra
d’alléger considérablement les tâches de manipulation et de faciliter l’accès des
chercheurs à ce patrimoine inestimable.
En ce qui concerne les mesures techniques de protection, il convient de
dissiper quelques malentendus pour éviter la caricature.
Ce projet ne crée pas les mesures techniques, qui existent notamment depuis
vingt ans sur les cassettes vidéo et depuis dix ans sur les DVD. Ces mesures
techniques ne sont pas des mesures de verrouillage des oeuvres et de la copie,
mais, en intégrant aujourd’hui des systèmes de gestion des droits, permettent
au contraire l’émergence de nouvelles offres et de nouveaux modèles
économiques.
Entre ceux qui souhaitent la disparition de la copie privée et ceux qui veulent la
dévoyer dans une copie sans limite, je veux maintenir un équilibre, pour
conserver une vraie copie privée et sa légitime contrepartie qu’est la
rémunération pour copie privée. Dans ce texte, la copie privée est préservée.
Elle est tout simplement adaptée à l’univers numérique qui permet de fabriquer
un très grand nombre d’originaux.
C’est la raison fondamentale pour laquelle le projet de loi instaure un collège de
médiateurs, autorité administrative indépendante spécialisée, chargée de
réguler les mesures techniques et de mesurer leur conformité avec les
exceptions légales. Cette régulation doit permettre à tous de continuer à
bénéficier de l’exception pour copie privée. Ce collège des médiateurs constitue
une garantie formidable pour les consommateurs, puisqu’il pourra être saisi par
eux ou leurs associations de tout litige concernant une mesure technique qui
serait excessivement confiscatoire du bénéfice de l’exception pour copie privée,
dont je rappelle qu’elle concerne le « cercle de famille ».
Afin d’éviter que certains spécialistes du piratage puissent contourner les
mesures techniques, le projet de loi crée une sanction contre le contournement,
qui ne vise pas les consommateurs de bonne foi. Surtout, il crée une sanction
contre la fourniture de moyens destinés à faciliter le contournement, afin
d’éviter la création de ce genre d’activités, qui créent des profits en incitant
leurs clients à enfreindre la loi.
Ces dispositions n’ont pas pour autant, et méfions-nous des amalgames, pour
objet de créer un dispositif d’agrément des logiciels de lecture ou de remettre
en cause les exceptions existantes, comme la décompilation, qui bénéficie
notamment au logiciel libre.
En ce qui concerne le logiciel libre, je veux apporter de la clarté là où d’autres
se complaisent dans les confusions et les raccourcis abusifs. Je tiens à ce que
le projet de loi permette d’éviter les monopoles indus. C’est pourquoi je vous
annonce que je vais, au nom du gouvernement, déposer notamment un
amendement permettant d’assurer le respect du droit de la concurrence de la
part des fournisseurs des mesures techniques de protection.
Le projet contient d’ailleurs une disposition particulièrement novatrice, destinée
à faciliter l’interopérabilité, en favorisant l’accès à des licences croisées,
permettant de rendre compatibles les plates-formes d’offre en ligne et les
lecteurs. Cette disposition va au delà des prescriptions de la directive
européenne. Elle permet d’éviter les cloisonnements de l’offre qui seraient un
non sens industriel. C’est un point fondamental pour les consommateurs que
nous sommes tous. Cette interopérabilité est indispensable au marché.
Ces mesures techniques sont également utiles pour limiter la contrefaçon « à la
source », mais elles ne sont cependant pas suffisantes. En effet, il se trouvera
toujours un spécialiste, ou une équipe, assez compétents pour contourner les
mesures techniques, obtenir un exemplaire non protégé de l’oeuvre et le
diffuser à grande vitesse sur les nouveaux réseaux à haut débit, notamment sur
des systèmes « pair-à-pair ». Et ces systèmes touchent de plus en plus le
grand public.
Il est donc indispensable de mettre en place des moyens d’action efficaces de
prévention à l’égard du grand public échangeant des oeuvres de façon illicite
sur des systèmes « pair-à-pair ». C’est l’objectif du mécanisme de réponse
graduée que le gouvernement a souhaité insérer dans ce projet de loi par
amendement. L’objectif premier de cet amendement est la prévention,
l’information, donc la responsabilité.
Il respecte pleinement les libertés individuelles et présente le maximum de
garanties au regard des droits de la défense des internautes. En effet, les
internautes recevront préalablement une mise en demeure, par courrier
électronique ou par lettre recommandée, qui devra les inciter à cesser les actes
de contrefaçon ou à éliminer les éventuels virus permettant à un fraudeur
d’utiliser leur matériel. Ce n’est que s’ils ne tiennent pas compte de ces mises
en demeure, qu’ils seront, après une procédure contradictoire écrite, passibles
d’une sanction financière dont le prononcé sera à l’appréciation du collège des
médiateurs.
Il est également nécessaire de préciser que les dispositifs de recherche
d’infractions resteront soumis à l’autorisation de la CNIL, qui veille à leur
proportionnalité pour éviter une surveillance trop large par rapport à la finalité
du traitement.
Ce dispositif permet ainsi de réaliser un équilibre entre la dépénalisation de la
contrefaçon numérique et la création de nouveaux mécanismes répressifs. En
effet, il préserve les capacités d’action en justice des titulaires de droit pour les
cas graves, tout en mettant un place un dispositif équilibré, donnant toute sa
place à une prévention personnalisée. Toutes les garanties quant à la
confidentialité des informations nominatives ont été prises à cet égard en liaison
étroite avec la chancellerie et la Commission nationale pour l’informatique et les
libertés.
Il doit être complété par une action en amont, notamment à l’égard des éditeurs
de logiciels d’échanges illicites d’oeuvres protégées.
Il s’agit d’abord de lutter contre l’incitation à la contrefaçon, car certains éditeurs
de ces logiciels, font bien souvent des profits en promettant l’accès gratuit à la
culture, et trompent leurs utilisateurs, qui risquent eux d’être la cible de
poursuites judiciaires. Cette incitation à la contrefaçon va également à
l’encontre de tous les efforts de sensibilisation réalisés par le gouvernement et
les professionnels.
Là encore, il faut éviter la caricature. En aucun cas il ne s’agit de condamner la
technologie « pair à pair », qui ouvre, je l’ai dit, des perspectives très
intéressantes pour la culture. Au contraire, il s’agit plutôt de favoriser
l’émergence d’offres légales utilisant cette technologie, comme cela commence
à être le cas outre-Atlantique.
Il faut aussi, bien sûr, responsabiliser les éditeurs de logiciels, lorsqu’il est
manifeste qu’ils sont massivement utilisés pour l’échange illicite d’oeuvres
protégées, pour qu’ils mettent en place les mesures utiles, conformes à l’état de
l’art, pour éviter ces usages illicites. Ces mesures pourront notamment être des
mesures d’identification des oeuvres concernées, mais il ne s’agit en aucun cas
pour la loi d’imposer une technologie particulière.
Ce projet de loi nous offre aussi l'occasion de transposer, également dans
l’urgence, une autre directive européenne touchant au droit d'auteur, la
directive relative au droit de suite. Nous avons en effet jusqu’au 31 décembre
2005 pour ce faire et vous savez ce qu’il en est de l’encombrement de l’ordre
du jour du Parlement.
Le droit de suite est un pourcentage versé aux artistes plasticiens et à leurs
héritiers lors de chacune des reventes successives de leurs oeuvres sur le
marché. En France, ce droit, qui existe depuis 1920, est de 3 % mais n'est,
dans les faits, appliqué qu'aux ventes publiques aux enchères.
Une majorité de pays de l'Union Européenne (dont l'Allemagne, l'Espagne ou la
Pologne) appliquent aussi un droit de suite. Parmi les exceptions, il y a celle
notable du Royaume-Uni, place largement dominante sur le marché de l'art
contemporain.
La directive européenne du 27 septembre 2001 harmonise le droit de suite et
les taux applicables à l'ensemble des pays de l'Union. C'est une bonne chose,
compte tenu de la concurrence que se livrent Paris et Londres sur le marché
européen. Cette directive permettra de ce point de vue à nos professionnels de
travailler dans des conditions de concurrence égales par rapport à Londres et
par rapport au reste du marché intérieur, quand la directive aura été mise en
oeuvre dans tous les Etats membres.
La directive instaure une dégressivité des taux applicables en fonction du
montant de la vente. En outre, et c’est très important, elle plafonne à 12 500
euros le droit susceptible d'être versé pour une oeuvre. Ces deux dispositions
devraient lever l’une des causes majeures de délocalisation des ventes vers les
places dépourvues de droit de suite, notamment New-York.
Je sais que les professionnels restent cependant inquiets des conséquences de
la transposition de cette directive.
C'est le cas des galeries, qui, de fait, ne se voyaient pas appliquer de droit de
suite jusqu'à présent, mais qui, depuis, plusieurs années, cotisent en
contrepartie au régime de sécurité sociale des artistes. C'est aussi le cas des
sociétés de ventes volontaires, qui, par application des taux prévus par la
directive européenne, vont voir le droit de suite augmenter de l'ordre d'un quart.
C’est pourquoi, comme l’a demandé le Premier ministre, le gouvernement fera
en sorte que le décret d’application qui sera pris en Conseil d’Etat permette une
transposition aussi proche que possible des conditions dont bénéficieront les
Britanniques.
Ainsi, le futur décret, devra fixer les conditions dans lesquelles les galeries
françaises pourront bénéficier du même délai d'adaptation que les galeries
britanniques. En effet, les Etats membres qui n'appliquaient pas le droit de suite
ont obtenu de pouvoir, par dérogation, dispenser les ventes d'oeuvres d'artistes
décédés de tout droit de suite jusqu'en 2010, voire 2012. C'est l'option que
semble devoir prendre le Royaume-Uni. Or, je l'ai rappelé, la France applique
un droit de suite depuis 1920, mais pas aux ventes des galeries. Le risque est
donc de créer artificiellement pendant 4 à 6 ans une dégradation des termes de
la concurrence au détriment des galeries françaises, vis-à-vis de leurs
homologues, notamment britanniques. Le gouvernement sera donc vigilant sur
ce point.
Le même décret fixera le seuil de prix de vente à partir duquel les ventes sont
soumises au droit de suite, seuil que les représentants des artistes souhaitent
aussi proche que possible du seuil actuel, très bas (15 euros), et que les
professionnels souhaitent aussi proche que possible du maximum prévu par la
directive (3000 euros). Mon intention est de fixer ce seuil à 1000 euros, afin de
mettre la France au même niveau que nos plus proches concurrents, la
Belgique et le Royaume-Uni. Le relèvement de ce seuil à 1000 euros aura pour
effet d’alléger considérablement les formalités administratives qui pèsent
actuellement sur les galeries et les sociétés de vente. Je souhaite ainsi que le
temps gagné pour les intermédiaires du marché compense l’accroissement du
droit de suite qu’entraîne la directive. Je souhaite également que ce seuil plus
élevé permette de ne pas dissuader les intermédiaires de vendre des oeuvres
dont le coût unitaire est limité. De fait, le temps passé sur les formalités
nécessaires au droit de suite coûte parfois plus cher que le montant du droit de
suite lui-même ! Cela nuit, à l’évidence, à la fluidité du marché et aux intérêts
des artistes comme des professionnels.
Permettez-moi enfin d’attirer votre attention sur un rendez-vous important. La
directive prévoit que la Commission européenne présentera avant le 1er janvier
2009, un rapport sur l'application et les effets de la directive, notamment du
point de vue de la compétitivité du marché européen. Ce rendez-vous sera
l'occasion de se ré-interroger sur l'opportunité en termes économiques de ce
droit qui est et reste, je tiens à la rappeler, un droit d'auteur.
C’est parce que le droit de suite est un droit d’auteur que la France a été à
l’origine de cette directive. Et c’est parce que la France est attachée au droit
d’auteur que le Gouvernement sera attentif à ce que tous les Etats membres
transposent cette directive dans les délais convenus.
Je tiens enfin à rendre hommage au travail remarquable de votre commission,
tant sur le droit d’auteur et les droits voisins que sur le droit de suite, pour lequel
elle a dû travailler en extrême urgence.
Dans l’ensemble, ce projet de loi n’a d’autre objectif que de concilier la
pérennité de la création et l’accès le plus large à la culture, qui est à la fois l’un
des grand acquis et l’un des grands défis de notre temps. Il nous revient de
faire en sorte que dans notre société numérique, les technologies faites pour le
progrès des hommes permettent aussi d’assurer le développement durable et la
diversité des oeuvres de l’esprit, qui sont aussi essentielles à son avenir que
ceux de son environnement naturel. C’est là l’une des missions les plus nobles
du législateur. Puissiez-vous faire en sorte que, comme l’a déclaré récemment
l’historien Roger Chartier, le droit d’auteur ne soit pas qu’une parenthèse dans notre histoire. Tel sera, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les
Députés, le sens ultime de votre vote sur le projet de loi que je vous soumets.