Remise des insignes de Chevalier dans l’ordre de la Légion d’Honneur à Jacques Martial
12 mars 2007Cher Jacques Martial,
Vous êtes depuis novembre 2006 le Président de l'Etablissement Public du
Parc et de la Grande Halle de la Villette, qui est le lieu de toutes les
perspectives.
Perspectives des jardins, des pelouses et des arbres …
Perspectives surtout d'un espace culturel d'échange et de rencontre, à
l'image de ce vaste parc urbain, qui, aux lisières de Paris et de la Seine
Saint-Denis, défie la notion de périphérie.
Perspectives ouvertes par la beauté du site, mais surtout par le sens dont il
est porteur, par celui que vous lui donnez, qui suscite, vous le savez, les
plus grandes attentes.
Votre très solide parcours professionnel et artistique, mais aussi de citoyen,
de militant de l’humanisme, de l’égalité et de la diversité, m'a incité à vous
proposer de réfléchir à un projet pour ce lieu d'exception. Je l'ai fait après
avoir applaudi la très belle représentation de « Cahier d'un retour au pays
natal », dont vous faisiez la reprise en 2005 dans le off du Festival
d'Avignon. Les poèmes tirés de ce texte saisissant d’Aimé Césaire, que
vous avez interprétés avec foi et fougue, dans le jardin du Luxembourg, le
10 mai dernier, à l’occasion de la première journée nationale de
commémoration de l’abolition de l’esclavage, ont littéralement subjugué
leur auditoire, en proclamant les douleurs de l’exil, du déracinement, mais
aussi les richesses des rencontres et de la diversité.
Ce sont ces rencontres, c’est cette diversité, qui sont au coeur de votre
projet, articulé autour de la notion de « passerelles » – passerelles entre les
êtres, entre les cultures, entre la ville et la banlieue – empreinte de
générosité, et aussi de réalisme.
Vous voulez provoquer la rencontre entre le centre, l'excellence de la
culture, et les espaces d'énergie où se crée tout ce qui aura demain droit
de cité. Vos objectifs sont de favoriser le métissage culturel, de voir
comment notre société se raconte dans ses différences, à travers toutes les
formes d'expression de la culture vivante, de la musique au multimédia, et
en ancrant encore plus fortement les cultures urbaines à La Villette.
Vous êtes un témoin et un acteur de ce qui rapproche, de ce qui est
commun, de ce bien commun que nous avons en partage, au-delà des
différences.
Ce partage vous guide depuis le début de votre engagement dans votre
métier. C'est pour la défendre que vous êtes devenu un militant de la
diversité, de la différence et de sa reconnaissance.
Le goût du théâtre, véhicule de votre idéal humaniste, vous est venu dès
la très petite enfance, à 6 ou 7 ans, via le petit écran. « Les Perses »
d'Eschyle et « La Mégère apprivoisée » de Shakespeare vous
enthousiasment et font de vous, enfant de la banlieue, un enfant de la
télé, un fou de théâtre, et un amoureux de la culture.
Ce premier choc culturel vous inspire un grand respect du media
télévisuel et de son rôle au service du lien social et de la culture, ainsi que
le goût des grands textes et des grands auteurs dont vous aurez à coeur
de déchiffrer et de transmettre le message.
C'est cela aussi qui fait de vous l'homme de la transmission et un passeur
né. Les frontières vous sont inconnues. Les cothurnes, les toges, les
masques de la tragédie, la grandeur du verbe classique et la fougue
shakespearienne ont séduit l'enfant que vous étiez et inspiré l'artiste que
vous êtes devenu.
Comédien, vous avez joué Claudel, Giraudoux, Shakespeare, Marivaux,
suscité ou soutenu les entreprises les plus audacieuses, au prix d'un
véritable engagement personnel.
Au cinéma comme au théâtre, vous avez été dirigé par les meilleurs,
Samuel Fuller, Irina Brook, Jean-Pierre Salomé, Georges Wilson, Robert
Kramer…. Vous avez été particulièrement remarqué dans un « James
Bond », auprès de Roger Moore, « Moonraker », mais surtout dans le
beau film de Claire Devers, « Noir et blanc ». Vous êtes aux côtés de
Sophie Marceau et Frédéric Diefenthal dans la version
cinématographique de « Belphégor ».
Vous avez aussi connu la notoriété et le statut de vedette que peut
apporter l'un des feuilletons les plus populaires du petit écran. Vous avez
été très demandé dans le métier difficile et peu connu du doublage, où
vous êtes en particulier la voix française de Denzel Washington, et il me
semble important de souligner cet aspect de votre parcours si riche et si
ouvert, à un moment de leur histoire où les professions du spectacle
réfléchissent à la palette des expressions qui s'offrent à elles.
Pour autant, vous n'avez jamais cessé, avec une sérénité résolue, et avec
courage, de militer pour vos convictions.
Vous l'avez fait au sein du « Collectif pour l'égalité des chances », aux
côtés de Calixthe Beyala.
Puis, dans les années quatre-vingts, vous créez l'association « Rond-
Point des Cultures », qui présentent des spectacles dans de nombreux
lieux de la capitale, pour mettre en valeur non seulement les cultures de
la différence mais aussi les artistes qui les servent, tous issus des
minorités visibles.
C'est au cours de l'année 2000 que vous créez votre Compagnie, « La
Compagnie de la Comédie Noire », un intitulé pour le moins malicieux que
vous qualifiez vous-même, selon votre degré de confiance et d'intimité
avec vos interlocuteurs, – mais ici vous n’avez que des amis, – de clin d'oeil ou de … bras d'honneur…. Vous entendiez en effet manifester avec
force contre une forme de discrimination plus pernicieuse que violente,
que votre statut d'artiste vous a permis d'éprouver sous ses aspects les
plus redoutables.
Avec « La Comédie Noire », s'affirme pleinement votre vocation de
comédien engagé. Vous montez les grands auteurs que j'évoquais tout à
l'heure, de Marivaux à Claudel dont vous jouerez « L'Echange » sur la
terre de vos origines, en Guadeloupe. Vous mettez en scène « Les
Cannibales » de José Pliya au Théâtre national de Chaillot et en tournée.
Vous privilégiez aussi la voix d'Aimé Césaire, que vous faites résonner en
France et dans de nombreux pays du monde, et devant tous les publics,
y compris ceux qui ne fréquentent pas les lieux de culture, conformément
à votre engagement de toujours dans la lutte contre toutes les formes
d’exclusion. Cette voix si belle, si forte et si claire, cette pensée
profondément humaniste, je souhaite que vous puissiez continuer à la
porter, à la faire rayonner devant de nombreux publics, à faire entendre sa
parole.
Cette parole d'humanisme et d'ouverture, de tolérance et de partage
traduit certainement non seulement vos aspirations personnelles, mais
aussi le sens de votre mission au service de la culture et du public, au
service d’une diversité culturelle qui est aussi, pour vous, une diversité
sociale.
Jacques Martial, au nom du Président de la République, et en vertus des
pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons Chevalier de la Légion
d'Honneur.